HYDROCARBURES : LES POLLUEURS FONT TOUJOURS TACHE D’HUILE

Un pétrolier qui coule, une plateforme pétrolière qui explose au large du spot : un cauchemar. Ces marées noires quoique spectaculaires ne génèrent qu’une faible fraction des pollutions marines par hydrocarbures. Beaucoup plus discrets, les 98% restants ne relèvent pas d’accidents ou d’erreurs, mais d’un acte délibéré

Plusieurs dizaines milliers de tonnes de pétrole suintent chaque année dans les océans, issues de sources naturelles. Dans plusieurs zones fracturées de bassins sédimentaires en Californie, en mer Rouge et Caspienne ou encore dans le golfe du Mexique, on peut observer des volutes d’hydrocarbures s’échapper de la roche. Il s’agit d’un phénomène normal lorsqu’une faille permet au pétrole de migrer en surface. Les hommes restent néanmoins responsables de plus de 90% des déversements d’hydrocarbures. En parallèle des secteurs de la production et du transport de pétrole, plus de la moitié des hydrocarbures déversés en mer proviennent des industries ou des activités humaines situées à terre. Les particuliers y contribuent directement par le remplissage de réservoirs, les fuites, les émissions d’hydrocarbures imbrulés, ainsi que pour certains délinquants (ils encourent 76 000€ d’amende), en jetant leur huile de vidange dans les égouts.

Pétroliers coulés

Seul le tiers des pollutions aux hydrocarbures incombe au transport maritime, mais il suscite la majorité des indignations. Les catastrophes générées par les pétroliers sont en légère régression à chaque décennie grâce à la généralisation des doubles coques et des aides à la navigation. Les accidents relèvent en effet à 80% de négligences et d’erreurs humaines (échouement et collision 62%, avarie suite à défaut d’entretien 13%). Nous ne sommes toutefois pas à l’abri d’un nouvel accident, notamment à cause des pays qui accordent leur pavillon à des bateaux-poubelles. Ces pavillons de complaisance, souvent mis en place avec le concours d’intérêts occidentaux, permettent aux armateurs de s’affranchir d’une fiscalité trop lourde, d’un droit du travail trop regardant et surtout de contraintes environnementales et sécuritaires trop strictes. Dans le top 5 des pavillons en nombre de bateaux perdus, tous sont complaisants. Un classement annuel est proposé chaque année par le « Memorandum de Paris » ou Paris MOU : on y découvre que les pavillons Panaméens, Libériens et Maltais, si fréquents, ont progressé dans la liste blanche, que les USA et la Suisse dans la liste grise ne sont pas au top et que les tréfonds du classement (dits à très haut risque) sont tenus par les pavillons Congolais, Togolais et Comoriens. Le premier registre du pavillon Français est au sommet, mais notre pays possède son pavillon de complaisance (décerné par la Fédération internationale des ouvriers du transport) : le pavillon « RIF » dit « Kerguelen », qui offre la possibilité d’employer 75% de marins extra-européens aux conditions salariales misérables de leurs pays d’origine, mais ne concerne pas les normes de sécurité et environnementales.

Catastrophes écologiques

Une marée noire, ce sont des plages interdites pendant plusieurs mois, mais surtout des millions d’oiseaux, de mammifères, de poissons, de crustacés, de mollusques et d’algues tués. Les images terribles d’oiseaux pêcheurs mazoutés ont tous marqué des générations, mais le peuple invisible des océans est aussi ravagé, en premier lieu le plancton dont se nourrissent les poissons pélagiques. L’accumulation d’hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), très solubles, toxiques et cancérigènes dans les tissus peut provoquer leur dégénérescence. Les branchies de poissons ne permettent alors plus une oxygénation efficace et les animaux filtreurs deviennent incapables de se nourrir. Les produits dispersants utilisés lors de marées noires inquiètent aussi. Ils fragmentent les nappes, afin de favoriser la digestion du pétrole par les bactéries ou du moins de le faire couler en boulettes. Ils sont plébiscités par les pétroliers pour réduire l’ampleur des indemnisations, mais plusieurs études suggèrent qu’ils multiplient par 50 la toxicité du pétrole brut sur le zooplancton. Au Texas et en Louisiane, des atteintes neurologiques extrêmement graves (cécité et paraplégie) ainsi que des cancers fulgurants ont frappé les plongeurs et ramasseurs exposés même brièvement au Corexit à la suite de la catastrophe sur plateforme Deepwater Horizon de BP.

Une faune sacrifiée, des vasières dévastées, un spot fermé, tout cela n’a pas de prix. Pourtant, le fonds d’indemnisation, le FIPOL, définit un plafond de responsabilité très bas et de longues procédures sont systématiquement nécessaires pour prouver l’existence d’un préjudice économique, le seul ouvrant à une réparation. Pour le Prestige, seuls 30% des dommages inventoriés auront finalement été indemnisés. Bien malin le planchiste qui parviendrait à être dédommagé pour n’avoir plus pu naviguer sur son spot !

Du goudron et des plumes

Les marées noires ne constituent que la partie émergée de l’iceberg, 5% des pollutions liées aux transports. Tout le reste relève du pénal, du goudron et des plumes pour les capitaines et armateurs crapuleux. S’il existe des rejets légaux d’eaux huileuses, jusqu’à 15 ppm (mg/L), tous les autres, illégaux, sont appelés improprement dégazages sauvages. Ce qu’il convient de définir par « déballastage » concerne les résidus d’huiles et d’hydrocarbures de propulsion de tous les types de navires de commerce ou de pêche. Le combustible est généralement le fioul lourd, constitué de résidus de distillation de pétrole brut. Ce carburant est raffiné à bord des navires en amont de la combustion et cette étape génère 1 à 3 % de résidus. Un gros porte-conteneur brûle 180 tonnes de fioul et génère 2 000L de résidus chaque jour. Pourquoi s’enquiquiner à perdre temps et argent pour décharger ce poison alors qu’on est tout seul au large ? Une estimation de WWF reprise par Total suggère que 83% des navires évacuent illégalement ces résidus en mer : 115 000 t sont déversées rien qu’en Méditerranée chaque année, soit l’équivalent de 25 marées noires du Prestige.
Le déballastage sauvage concerne aussi la vidange des cuves en mer. Quand les pétroliers sont vidés de leurs hydrocarbures, ils ne repartent pas à vide pour des questions de stabilité, mais se ballastent en les remplissant d’eau de mer.  Cette eau stockée dans des cuves souillées devrait ensuite être prise en charge par une filière de traitement, mais encore une fois on rencontre les mêmes motivations à tout lâcher au large, d’autant plus que tous les ports ne sont pas équipés. Les contrôleurs peuvent évaluer la quantité de résidus qu’un navire devrait transporter. Ils sont malheureusement trop peu nombreux pour exercer une réelle dissuasion. Les moyens manquent, tout comme pour les avions des douanes, qui, seuls permettent de constater les flagrants délits préalables à toute action en justice.

Que fait la police ?

Mieux vaut toutefois ne pas se faire prendre à déballaster dans nos eaux territoriales. Les condamnations sont de plus en plus sévères et les amendes peuvent atteindre le million d’euros. Toutefois, la convention de Montego Bay attribue la compétence juridique, en cas de pollution au-delà des 12 milles, aux tribunaux du pays dont bat le pavillon du pollueur. Or quand ces pays font du pavillon de complaisance un business, on doit déplorer leur trop grand laxisme : La condamnation d’un armateur lituanien à une amende de 700 000 euros pour une trainée de 37 km dans les eaux Françaises a été annulée car un tribunal Balte avait entre-temps condamné l’armateur pour imprudence, avec à la clé une amende de 23 000 euros… encaissée par la Lituanie.

Et notre santé ?

D’après toutes les études, les boards ne sont rapides sur une mer bien huilée. Inutile de tester. Les dermatologues préconisent de se débarrasser rapidement des traces de pétrole avec de l’huile de tournesol ou de l’huile solaire. Le centre anti-poison recommande avec beaucoup de bon sens d’éviter les zones irisées et de ne pas y boire la tasse. Les effets de l’ingestion ponctuelle de pétrole sont semble-t-il rares et en tous cas peu documentés, en dehors de vomissements et de diarrhées. On ignore quel crédit accorder à ce fameux centre de santé Naphtalan en Azerbaïdjan, dont les toubibs promettent de résoudre les troubles musculo-squelettiques, neurologiques, vasculaires, dermatologiques et gynécologiques à l’aide de bains de pétrole brut, riche en naphtalène réputé cancérigène. Si on sait que les cancers sont plus nombreux autour de l’étang de Berre en raison de la pollution atmosphérique liée au pétrole, peu de scientifiques se sont intéressés à l’impact d’une mer souillée sur les usagers au quotidien. Alors si vous naviguez tous les jours au pied d’un pipeline percé, écrivez-nous, vous avez gagné !

L’Affaire des boues rouges : la méditerranée poubelle institutionnalisée

Voilà cinquante ans que l’usine d’alumine de Gardanne déverse avec la bénédiction de l’état des boues rouges chargées de résidus toxiques dans le nouveau parc national des Calanques. Contrainte par la convention de Barcelone pour la protection de la méditerranée de cesser ces rejets, la société Alteo n’a pas mis à profit les vingt années dont elle disposait pour y mettre un terme. Manuel Valls a imposé une prolongation de l’autorisation de difflution d’eaux chargées de métaux lourds à proximité des spots de La Ciotat, Cassis et Marseille pour six années, provoquant l’ire des pêcheurs, des utilisateurs de la mer et des amis de la nature. V. Chanderot, WIND 2016

Les pêcheurs des Calanques de Cassis sont habitués à remonter des filets teintés de rouge et des poissons chargés de métaux lourds. Ce forfait a été dénoncé dès les années soixante, lorsque les décharges dans lesquelles Pechiney stockait ses boues rouges arrivèrent à saturation et qu’il les déversa en mer dans de canyon de Cassidaigne. Cette vallée distante de 7km et profonde de 320m avait pourtant rapidement rendu à la plage de La Ciotat les mines qui y avaient été immergées lors du déminage en 1946.

En cinquante ans, près de trente millions de tonnes de boues ont été répandues. Aluminium, fer, arsenic, uranium 238, thorium 232, mercure, cadmium, titane, plomb, chrome, vanadium, nickel et de la soude, furent dispersés par centaines de tonnes quotidiennement dans les boues, dont on retrouve la trace du golfe de Fos à la rade de Toulon, s’ajoutant aux eaux polluées du Rhône.

L’affaire Corse

En 1972, une seconde affaire de boues rouges éclata en Corse, mais fut rapidement réglée. La société Italienne Montedison déversait quotidiennement au large du Cap Corse des milliers de tonnes de boues issues d’une usine de dioxyde de titane. Suite à une forte mobilisation citoyenne et au manque de réactivité des pouvoirs publics, un des bateaux convoyant les boues fut tout simplement plastiqué. Peu de temps après, la société fut condamnée et les rejets cessèrent.

Une longue histoire française

Les déchets de Gardanne, toujours qualifiés par l’usine et non sans ironie, de « rejets inertes » sont les dommages collatéraux de la fabrication des alumines de spécialité. Elles sont utilisées dans les écrans à cristaux liquides de votre prochain téléphone ou téléviseur. Une étude indépendante menée en 1993 par Creocean et dissimulée pendant 20 ans démontrait la toxicité des boues rouges, tandis que l’usine mettait en place un conseil scientifique produisant des analyses déniant leur dangerosité. Aujourd’hui, l’Ifremer affirme que l’implication du mercure et de l’arsenic serait très faible dans la contamination de la chaîne alimentaire dénoncée par les pêcheurs de Marseille à Sanary, mais recommande pourtant encore d’autres études. Les poissons du coin contiennent des métaux lourds, mais cela ne serait malheureusement pas rare en méditerranée. Il semble par contre avéré que la pollution impacte la reproduction de plusieurs espèces et le géographe Olivier Dubuquoy de l’université de Toulon s’inquiète de la recolonisation prochaine du canyon. Flore et faune ont été chassées par les torrents de boues, « de Fos à Toulon, les fonds marins ressemblent à la planète Mars» mais que se passera-t-il avec l’arrêt des rejets, quand elles reviendront vivre dans les sédiments où métaux lourds et radioactivité se sont accumulés et serviront de nourriture aux gros poissons ?

Le déversement de boues rouges interdit depuis le 1er Janvier 2016, il ne subsiste aujourd’hui qu’une fraction des rejets (84 t par an tout de même). Elle cristallise cependant la colère des utilisateurs de la mer, car hyper basique et chargée de métaux lourds, elle dépasse toujours les normes européennes au mépris de la réglementation pour plusieurs paramètres (Aluminium 7900kg par jour (245 fois la norme), Arsenic 34 fois la norme, pH 12,5 etc.)

La complaisance des plus hautes sphères de l’état

En 1995, la ministre de l’environnement Corinne Lepage donnait à l’usine jusqu’au 31 décembre dernier pour faire cesser les déversements en mer. Aujourd’hui elle ne décolère pas car, dit-elle, « ils ont eu 20 ans pour se mettre aux normes ». Alteo est parvenu à imposer sa stratégie, la déshydratation des boues grâce à un système de filtres-presses (financé à hauteur de 15 millions d’euros par des fonds publiques), dont tout le monde devait se douter qu’elle génèrerait un blocage dû aux rejets liquides toxiques. L’entreprise, aux mains d’un fonds d’investissement américain, a usé d’un chantage aux emplois pour que le premier ministre impose le prolongement du droit de polluer pour encore 6 ans. Le tribunal administratif a rejeté au nom de la pérennité de la compagnie le recours des associations et elles misent désormais sur un recours hiérarchique. M. Valls aurait selon elles abusé de son pouvoir en imposant sa volonté au détriment du ministère de l’écologie qui s’était opposé au projet et nous verrons s’il ne s’agissait là que d’une position de façade de la ministre.

Ce micmac laisse transparaître que l’état persiste à souiller le patrimoine naturel de tous au profit de quelques uns et qu’en dépit de beaux discours, la méditerranée demeure une poubelle bien pratique. Malgré la complaisance et les cadeaux (dont une ristourne  sur la redevance de l’eau, réduite de 13 millions à 2, 6 millions d’euros en 2014 grâce au maire de Bouc-Bel-Air), les jours de l’usine de Gardanne sont comptés mais l’héritage qu’elle nous laissera marquera son temps. La méditerranée, mer fragile n’a pas fini de subir les agressions des hommes. A quelques encablures de Cassidaigne, une mobilisation citoyenne a finalement abouti au rejet (contre l’avis du conseil d’état) du permis de recherches d’hydrocarbures «Rhône maritime », mais ce genre de projets fleurissent dorénavant sur 40% des côtes de la mare nostrum.

Danger !

Si le risque auquel s’expose le windsurfer à La Ciotat est difficilement quantifiable dans les eaux souillées, il n’en est pas de même pour l’air et l’eau douce aux alentours du site de Mange-garri à Bouc-Bel-Air. Les boues deshydratées stockées sans grande précaution à l’air libre s’infiltrent dans le sol et se disséminent les jours de mistral, des poussières rouges envahissant les habitations alentours. Selon l’enquête du Monde Diplomatique, 8 des 20 riverains les plus proches souffriraient de cancer, et 5 de problèmes thyroïdiens mais l’ARS locale refuse de s’exprimer sur le sujet… Le plan d’Alteo consiste en la revente de ces boues deshydratées sous l’appellation de Bauxaline, que l’industriel aimerait voir utilisée, malgré sa radioactivité importante (souvenez-vous de l’histoire des « stériles ») pour la construction de route ou de digues. Alteo propose également une application pour le moins cocasse à la Bauxaline : le traitement d’effluents acides contaminés par des métaux !

Chlordécone, le feuilleton tragique des Antilles

Parmi les plaies qui s’abattent sur les Antilles (le retour des sargasses, la ciguatera), on commence à reparler de la plus dangereuse, cette fois d’origine humaine garantie: la chlordécone. Ce pesticide très toxique contamine les terres, les mers et les hommes et fait l’objet d’un vrai scandale. Par Vincent Chanderot dans WIND mag, 2018

On n’avait pas trouvé plus performant que le Kepone ou Chlordécone, de l’américain Allied Chemicals contre le charançon du bananier, dont la larve se nourrit des racines. Cet insecticide fut utilisé en massivement pendant 20 ans jusqu’à son interdiction en 1993 dans les plantations industrielles de Martinique et de Guadeloupe. La molécule, très stable, était vantée pour son action longue durée et pour cause: elle n’est pas biodégradable et elle est toujours là. Elle s’est  concentrée dans les sols, dans les plantes et les rivières et finalement en mer. Sa longévité implique une bioaccumulation permanente tout du long de la chaîne alimentaire et en particulier chez les animaux carnivores.

De la terre à  la mer

L’insecticide pénètre le corps par voie alimentaire. En consommant des légumes tels que patate douce, igname, carottes poussant sur les sols contaminés. Mais aussi les animaux brouteurs, les poulets, les oeufs, les poissons. Des dizaines de milliers d’hectares ont été contaminés par 300 tonnes de Képone. Les cours d’eaux contaminés par le ruissellement ont condamné les élevages de crevettes ouassou, et la pêche en rivière est interdite en Martinique et sur Basse-Terre. La bande côtière aussi est contaminée, notamment la vase des estuaires qui libéreront le pesticide à chaque tempête pendant des générations. Les poissons peuvent aussi accumuler de grandes quantités du poison. Cela a justifié l’interdiction de la pêche sur les rives au vent de la Soufrière et de la Montagne Pelée (grosso modo de la pointe Macouba à Cap Est et dans la baie de Fort-de-France). N’allez pas chasser la langouste après votre session! L’impact de la molécule sur la vie des poissons n’a pas été étudié, cependant il n’y a pas de risque signalé pour la pratique occasionnelle et même intensive du windsurf ou des sports aquatiques.

Tous concernés

La quasi totalité de la population martiniquaise et guadeloupéenne présente une contamination à la chlordécone. La molécule organochlorée est biomimétique, elle se fait passer pour une hormone auprès du corps, il s’agit d’un perturbateur endocrinien. Son impact continue de faire l’objet d’études, mais les premières sont édifiantes: la chlordecone nuit au développement moteur et cognitif des nourrissons (baisse du QI, de la curiosité, de la motricité fine) provoque des troubles neurologiques et spermatogeniques chez les adultes et est fortement liée au développement de cancers. La Guadeloupe déplore le record mondial de cancer de la prostate: ils y sont deux fois plus nombreux et deux fois plus mortels qu’en métropole. Et tout particulièrement chez les hommes noirs avec antécédents familiaux ayant séjourné dans des pays fortement industrialisés (x5), faut-il y voir la manifestation d’un effet cocktail? Les populations soumises en permanence à la molécule entretiennent leur contamination, elle est toutefois lentement réversible à condition de ne plus en ingérer, c’est aussi la raison pour laquelle apparaît ce mois-ci un label agricole garanti sans chlordecone. Les ouvriers de l’usine fabriquant le Kepone à Hopewell (USA) développèrent de très sévères troubles neurologiques et testiculaires, de la motricité, de l’humeur, de l’élocution et de la mémoire immédiate, ainsi que des mouvements des yeux anarchiques inquiétants lors d’un incident en 1975. Les effets disparurent finalement, après que leur corps eut éliminé la chlordecone à laquelle ils ne furent plus exposés, et pour cause: suite à cet évènement et à la pollution majeure infligée à la rivière jouxtant l’usine, les USA bannirent totalement cette molécule en 1977.

La République Bananière Française

C’est là que l’histoire devient cocasse et pourra évoquer les innombrables cas récents tels que le  glyphosate du roundup ou les nitrites du jambon. La toxicité du chlordecone a été identifiée très tôt: elle était connue avant même son autorisation en France par Jacques Chirac en 1972, ce qui lui avait valu d’être rejetée par le bureau des toxiques lors des premières tentatives d’introduction. Il aura fallu attendre 1993, soit 16 ans, pour que la France suivre l’exemple américain et interdise définitivement la molécule, non sans avoir multiplié les dérogations alors que des alternatives étaient connues. L’entreprise Laguarrigue, acquéreur du brevet après son interdiction aux USA, a en effet obtenu d’écouler ses stocks (mais continua d’importer la molécule après l’interdiction). Le DG de cette entreprise, Yves Halot, issu d’une des familles béké les plus puissantes de Martinique était par ailleurs le patron du syndicat de l’industrie bananière, la branche agricole qui phagocyte la plupart des subventions pour la bonne raison qu’il s’agit d’une culture d’exportation qui remplit les cargos que son frère Bernard décharge de marchandises pour ses supermarchés et ses concessions automobiles. Faut-t-il voir dans l’inertie française encore un cadeau aux lobbys et aux « premiers de cordée » au détriment de la santé des lampistes et des « sans-dents »? L’affaire n’est pas terminée et a même été relancée suite à quelques cachotteries. En effet la très libérale Commission Européenne a discrètement relevé les seuils de contamination aux pesticides (la LMR) dans les viandes en 2013: la concentration en chlordécone autorisée dans la volaille peut être multipliée par 10 (200 µg/kg), ce qui suscite l’incompréhension de nombreux scientifiques et la colère des antillais. Comment peut-on justifier d’augmenter dans notre nourriture dans de telles proportions la teneur d’un poison, dont on sait en plus qu’il peut s’accumuler? Comment ne pas penser alors que la commission et le ministre Stephane Travert ont une fois encore cédé au chant des sirènes du lobby agricole, en permettant la relance de l’activité de quelques adhérents de la fnsea qui n’auraient pas consenti l’effort sanitaire auquel d’autres se sont astreints? Un syndicat de l’Agence Régionale de Santé martiniquaise s’est fendu cet hiver d’une lettre ouverte afin de dénoncer  « les pressions subies par les agents pour limiter l’information du public au strict minimum et la mise à l’écart du personnel chargé du dossier chlordecone». On a en effet découvert récemment des eaux du robinet contaminées sans en prévenir outre mesure la population. Ces défaillances inspirent là bas et ailleurs une défiance envers les administrations et la politique libérale, qui persistent à privilégier l’industrie au détriment des humains, de l’environnement et de l’intérêt collectif. Make our planet great again?

Les Antilles accablées sous le poids des Sargasses

Nos amis des Antilles subissent pour la quatrième année des invasions récurrentes d’immenses bancs d’algues brunes. Ces algues dites Sargasses peuvent former des cordons de plusieurs dizaines de mètres de large sur les plages des côtes au vent entre mai et novembre, paralysant la pèche, le tourisme et le windsurf. Pourtant connus depuis des siècles, il devient urgent de comprendre pourquoi les radeaux d’algues ont décidé de venir s’échouer ici, dans quelle mesure l’homme se cacherait une fois encore derrière et s’il faudra y faire face durablement, à moins que le phénomène ne disparaisse comme il est arrivé. Vincent Chandertor dans WIND mag.

Sinon qu’elles nageant en paquets grâce à des flotteurs, sans liaison avec le fond de la mer, les sargasses sont de banales algues brunes. Elles ont pourtant accouché de nombreuses légendes. La mer éponyme, située au bord du triangle des Bermudes est une gyre océanique, une région où aboutissent les courants tourbillonnaires de l’Atlantique nord. Aujourd’hui zone d’accumulation de déchets, elle fut dès ses premières descriptions, notamment par Christophe Colomb, une zone de concentration de nappes immenses d’algues, dans lesquelles des navires seraient restés bloqués pendant des semaines, encalminés dans la pétole d’une zone sans vents.

Voici un coupable tout désigné à notre affaire de marées brunes : la mer des sargasses déborderait de ses algues et les expulserait vers les Antilles à la faveur d’une modification des courants dûe au changement climatique… Cette hypothèse, en vogue aux débuts du phénomène en 2011 a pourtant été écartée à la faveur de suivis satellitaires et de marqueurs ADN.

Une petite mer des sargasses

C’est à l’est de la Guyane que se trouve apparemment une nouvelle zone d’accumulation des Sargasses, un réservoir à algues alimentant une boucle de courants entre le Nordeste Brésilien et le golfe de Guinée. Les eaux chaudes et riches en nutriments y sont propices à des blooms algaux. On sait que les poussières du Sahara constituent un apport crucial en Phosphates et en Fer à la forêt amazonienne. Il en serait de même pour les sargasses, qui trouvent dans ces brumes de sable ainsi que dans les eaux très chargées en nitrates et en matière organique issues des fleuves Amazone, Orénoque et Congo, tout ce qu’il  faut pour former des radeaux géants de 500km. Au gré des saisons et des courants, les algues peuvent remonter au nord sous l’influence du courant des Antilles. Selon Maria Fernanda Seadi, océanographe et complice de Kauli, les mattes de sargasses putrescentes ne sont pas une nouveauté au Brésil, coutumier du phénomène à chaque saison des pluies. Elles sont même considérées comme bénéfiques dans une certaine mesure pour la croissance de certains poissons et la protection des plages contre l’érosion. Mais rien n’explique pourquoi les Antilles sont subitement  submergées depuis 2011? Des anomalies de température et de courants ont été observées au tout début, mais pas depuis. Peut-être ces événements seraient-t-ils associés à des perturbations de la dynamique des écosystèmes, éventuellement en lien avec le changement climatique ?  C’est la question prioritaire posée à la recherche Française par l’Etat, contraint de trouver comment récolter les algues et surtout quoi faire de ces milliers de tonnes de biomasse.

Comme un petit air de Bretagne

En attendant de trouver une explication et un éventuel remède, il est urgent de ramasser les algues sur les plages et dans les baies. Les hélices des bateaux ne tournent plus, les mises à l’eau pour les baigneurs ou les planchistes sont pénibles et déconseillées. Si les algues ne présentent pas de danger, leur forte densité peut gêner la nage et provoquer la noyade, de plus elles peuvent héberger une petite faune plus ou moins urticante, comme les jeunes poissons-scorpions, une autre espèce extrêmement envahissante. Les radeaux  font écran au soleil, coraux et herbiers marins peuvent y succomber, tandis que la ponte et l’éclosion des tortues sont impossibles sur les plages recouvertes. La dégradation des sargasses compromet la qualité de l’eau et peut provoquer une surmortalité de la faune. Echouées, ces algues fermentent et dégagent du sulfure d’hydrogène nauséabond (une fragrance d’œuf pourri) et potentiellement dangereux. Moins que les algues vertes de Bretagne, qui ont tué des animaux, mais suffisamment pour gêner les riverains et provoquer des malaises.

L’analogie au phénomène breton est flagrante au détail près qu’il ne devrait pas s’agir  d’une pollution locale. Ce phénomène est naturel, décrit depuis longtemps en d’autres lieux, et on ne peut affirmer que sa modification est clairement anthropique (pollution des fleuves ? changement climatique ?). En revanche, il ne fait aucun doute qu’en métropole, c’est l’élevage intensif et l’obstination des gouvernements successifs à ne pas vouloir  faire respecter les règles, notamment sur l’épandage du lisier, qui sont responsables et coupables des blooms algaux.

Les Antilles restent une destination Windsurf

Les 8 associations membres du comité de suivi du plan Algues Vertes en Bretagne ont marqué leur désaccord avec le projet préfectoral de confier le ramassage à une société commerciale. Avaliser la création d’une filière industrielle pourrait conduire à renoncer à s’attaquer à la source du problème pour pérenniser une nouvelle activité lucrative mais nuisible aux sols, à l’eau, la plage et ses habitants. Aux Antilles, au contraire, c’est comme le messie que sont attendues des solutions industrielles, car aucune filière dans les petites îles n’a pas la capacité d’absorber les milliers de tonnes qui se déverseront sur les côtes. Un concours a été lancé par l’Ademe pour trouver une valorisation à toutes ces sargasses, peut être dans le bioplastique, la cosmétique ou l’agroalimentaire. Quant à la protection des plages, elle semble impossible. Aucun filet ne pourrait résister durablement à un tel volume. Les habitants, les clubs de windsurf locaux déplorent la grande quantité de discours au détriment d’actions concrètes, mais encore faudrait-t-il savoir quoi faire ? Le windsurf n’est toutefois pas condamné dans les îles du nord. Tout d’abord le phénomène n’est pas permanent. Certains spots sont nettoyés et permettent d’accéder au large, des lagons sont préservés et il existe toujours des possibilités sur les côtes sous le vent. D’après Eric Martin, du club Windsurf Sentann Guadeloupe, c’est dans les anses que les algues sont les plus problématiques pour la mise à l’eau. Une fois dans le bouillon, avec des ailerons anti-algues, il n’y a plus vraiment de problème. Il relève toutefois une dernière source d’exaspération : le sulfure d’hydrogène dégagé par les algues en macération ne se contente pas de puer, il oxyde aussi les composants cuivre et argent des appareils électroniques et met HS tout ordinateur, télé, téléphone, caméra vivant aux alentours.

Les ramassages sur les plages : comme des bouteilles à la mer

Avez-vous déjà rejoint ces movements sympathiques de ramassages de déchets sur votre spot ? Ils sont de plus en plus nombreux et leurs initiateurs débordent d’efforts afin d’en faire une véritable fête. Ces actions signent la volonté des citoyens de prendre en mains la salubrité de leurs plages. Un instant de convivialité entre utilisateurs de spots qui permet parfois aussi de tutoyer les champions, qui s’y prêtent avec enthousiasme en parallèle des plus grosses compètes. A quoi cela sert-t-il vraiment ? Vincent Chanderot avec Marine St-Macquary dans WIND mag

Le World Clean Up Day 2022 a rassemblé 8,5 millions de personnes dans 190 pays. Cette mobilisation, dont l’ampleur croit chaque année démontre l’engouement suscité par les opérations de nettoyage de plage. Munis de gants et de sacs, petits et grands se lancent dans une chasse aux macrodéchets, qui se termine le plus souvent par un bilan effarant : En mars, une poignée de bénévoles de l’association The Sea Cleaners a ramassé 367kg de déchets dans la baie du mont Saint-Michel, site pourtant classé au patrimoine mondial de l’Unesco. Ces évènements permettent des rencontres entre associations, clubs de sport, collectivités locales, citoyens et entreprises qui échangent sur la problématique de cette pollution omniprésente. Certains y voient un aspect curatif, d’autres préventif ou simplement un moment convivial. Des passants, curieux, voire même des sceptiques se joignent à la fête. Sébastien Mesplède, waterman landais était de ceux-là et raconte son premier ramassage : « Je les ai pris de mes mains ces plastiques, j’ai vu de mes yeux ces 95kg ramassés ce jour-là et j’ai pris conscience, comme une claque, de la gravité de la situation. Depuis, je ramasse ce que je vois par terre, en particulier après chaque session. »

Un héritage invisible et empoisoné

Dans les pays qui en ont les moyens, les plastiques visibles sont souvent ramassés par les cribleuses qui rendent les plages plus « esthétiques » mais anéantissent la laisse de mer, sa faune et son action protectrice sur la plage. Selon Yann Lalane, enseignant de l’université de Pau-Pays de l’Adour, ce n’est pas la présence de macroplastiques, visibles, qui est la plus préoccupante : « On n’en vois pas plus qu’il y a dix ans». Le véritable fléau, c’est que ces macroplastiques se désagrègent pour former des microplastiques et pas uniquement au centre du septième continent. Il a pu le constater en plongée à quelques encablures de Biarritz « on a parfois un brouillard de 1m50 d’épaisseur constitué entièrement de microplastiques ».

En se fractionnant, ces déchets libèrent des micropolluants. Ils peuvent se combiner les uns aux autres et aboutir à des composés plus toxiques encore que les molécules mères. Les organismes marins, déjà grandement impactés par les macrodéchets (pensons aux milliers de tortues étouffées par les sacs plastique ou coincées dans les filets de pêche fantômes) ingèrent en continu ces composés toxiques invisibles à l’œil nu.

Jusque dans le sang

Ils s’accumulent dans la chair des poissons que nous retrouvons ensuite dans notre assiette. Un humain pourrait ingérer jusqu’à 5 grammes de plastiques chaque semaine. Une étude vient même de révéler la présence de plastique dans le sang de la majorité de ses sujets. Ceux-ci augmentent les risques chez de cancers, stérilité, asthme et trouble du développement de l’embryon. La boucle est bouclée.

Ce brouillard épais de pollution constitue un bouillon de culture pour des microorganismes marins. Il se reproduisent à outrance et sont transportés dans des zones où ils ne sont pas censés se trouver. Ces êtres vivants invasifs prennent la place d’autres et perturbent les équilibres fragiles des écosystèmes. Le plastique, conçu à l’origine pour être un matériau endurant est trop souvent réduit à un usage unique qui aura permis de contaminer l’ensemble de la planète.

Des ramassages, mais bien plus encore

Chaque minute, 17 tonnes de plastique (l’équivalent d’un camion poubelle) se déversent dans l’océan. Alors est-ce bien utile de retirer les plastiques des plages quand on sait qu’ils reviendront dès la marée suivante ?

Les ramassages à eux seuls, n’ont pas d’impact réellement observable sinon cosmétique. Ils ont lieu en général sur des plages emblématiques et font l’impasse sur les bassins versants. Cependant, vider l’océan de plastique à la petite cuillère… c’est le vider quand-même. C’est toujours ça que l’océan ne reprendra pas. Les ramassages portent avant tout leurs fruits sur l’inconscient individuel et collectif. Créer un réflexe du ramassage, ouvrir les yeux sur la destinée du plastique, sur ses volumes colossaux. Réaliser, vu tout ce qu’on voit, que le déchet qui ne souillera est celui qu’on ne produira pas. Ces opérations sont des bouteilles à la mer porteuses d’un message fort aux gouvernants : en mouillant le maillot les citoyens s’emparent d’un sujet et disent explicitement qu’ils désirent des plages propres et vivantes. Ils renvoient enfin peut-être aussi ceux qui y sont indifférents à leurs responsabilités : « nous prenons sur nous de ramasser vos déchets, le chacun pour soi a fait son temps ».

A pied et en bateau

Ces initiatives sont souvent locales, néanmoins certains mènent leur combat sur plusieurs fronts : Surfrider qui mène des actions de lobbying auprès des décideurs publiques, TEO, qui déploie des bacs à marée et œuvre à la décontamination. Plusieurs, mêlent responsabilité et utopie avec des projets de captage offshore de grande envergure : les filets géants de Ocean Cleanup ou le voilier « Manta » de l’ONG Sea Cleaner. Ce catamaran de 52m collectera les plastiques dès 2024 pour les convertir par pyrolyse (chauffage haute température sans oxygène) en un carburant qui assurera l’alimentation énergétique du bateau. Il embarquera des équipes scientifiques et de sensibilisation et commencera par des zones les plus touchées par ce fléau comme l’Indonésie, où les filières de recyclage sont quasi-inexistantes. Il véhicule aussi deux petits bateaux satellites pour nettoyer les zones difficiles d’accès. L’un d’entre eux est déjà en action sur les côtes Indonésiennes avec une ONG locale.

Un combat de longue haleine

Les associations ne se targuent pas de résoudre ce problème mondial à elles seules au travers de ces projets. Elles tentent de fédérer autour de cette lutte un maximum de citoyens et de dirigeants à travers le monde. En effet, ramasser et recycler le plastique ne peut pas être la solution. Il faut agir à la racine.Depuis 1950, on estime la production mondiale de plastique à 10 milliards de tonnes. D’ici 2050, celle-ci pourrait doubler. Aujourd’hui, 40% de la pollution est issue d’emballages alimentaires qui sont directement jetés. La consommation de plastiques à usage unique doit cesser pour revenir à la qualité première de ce matériau : sa solidité. Certains pays dont le Bangladesh, le Rwanda ou le Kenya sont déjà passés à l’action en interdisant les emballages plastiques éphémères. La France a interdit en 2021 la vente de certains produits jetables tels que les coton-tiges, les couverts ou les pailles, mais ne vise leur suppression complète qu’en 2040. Nombreux sont les autres facteurs de pollution que nous pourrions limiter : les stations d’épuration qui ne stoppent pas les microplastique (<100 mm), les lave-linges sans filtre qui laissent s’échapper à chaque lavage des millions de fibres plastiques issues des textiles synthétiques…

En attendant que des législations entrent en vigueur, nous ne pouvons pas rester inactifs. Quand bien même la pertinence des actions menées par les associations serait discutable, elles sont toujours plus efficaces qu’un long discours. Si cela semble utopique de penser que la situation pourrait changer, il parait encore plus fou de rester là les bras croisés.