Les vols terminant dans les lignes électriques ne sont jamais sans conséquences. Que leurs issues soient tragiques ou miraculeuses, ils constituent un chapitre conséquent de l’accidentologie des sports aériens. Le format en fiche de cet article devrait permettre de mieux mémoriser les différents types de lignes, les causes d’accidents, leurs conséquences et des indications de conduite à tenir. N’en déplaise aux vidéos hilares à découvrir sur Youtube, le vol à proximité de ne serait-ce que la plus petite des lignes électriques ne devrait jamais être pris à la légère.
Par Vincent Chanderot dans Paramoteur+ n°60
Photo Paul De Sousa / SDIS64
DIFFERENCIER LES LIGNES
Lignes de téléphone :
Poteau bois ou composite de 6m maximum. Fils droits, isolés de PVC, le long des routes, ne traversent jamais les champs. Peuvent être fixées sur poteaux électriques, mais pas le contraire. Courants faibles.
Lignes Basse-Tension (BT) :
Rejoignent les maisons. 230V et jusque 1 000V. 3 conducteurs + 1 câble porteur torsadés et isolés par du PVC. Subsistent encore 3 ou 4 fils alignés verticalement, nus avec un isolateur en verre. Hauteur/sol mini : 4m (torsadé) à 6m (nu).
Lignes HT A :
Distribution vers un lotissement / usine ou ferme. 1 000 à 50 000V. Poteaux béton ou bois 6 à 8m mini. 3 fils nus (souvent sur plan horizontal) avec 2 ou 3 isolateurs en verre. La 20 kV est très fréquente dans les champs, le long des routes et près des atterros. On rencontre aussi des HTA sur poteaux bois ou en fils isolés et torsadés. Départ possible d’une ligne secondaire peu visible sur le même poteau.
Lignes HT B :
Acheminement longue distance. 50 000 à 400 000V (jusque 1 000 000V dans certains pays). Voltage proportionnel à la hauteur et au nombre d’isolateurs en verre.
6 isolateurs -> 63kV 14 isolateurs -> 225 kV 19 isolateurs -> 400 kV.
Pylônes généralement en treillis d’acier de différentes formes (Chat, Beaubourg, Muguet…). Les câbles de phases peuvent être multipliés par 2, 3 ou 4 et maintenus en grappe par des entretoises.
La HTB est surplombée de câbles « de garde » : ils font office de paratonnerre, acheminent la fibre optique et portent des boules de signalisation dans les couloirs aériens et migratoires. Ils ne transportent pas de courant.
CAUSES DE COLLISIONS ET REMEDES
CAUSE 1 : LIGNE PAS VUE
* Défaillance dans la recherche du terrain d’atterrissage :
– Priorité à l’analyse des alignements de pylônes sur le terrain et dans ses alentours.
* Une ligne peut traverser un terrain sans pylône et des lignes secondaire discrètes peuvent émerger perpendiculairement des grosses lignes et être aperçues très tard :
– Analyse systématique d’un second terrain en secours et des échappatoires
– Mieux vaut poser vent de travers ou arrière que dans une ligne
* Le câble de garde n’est pas toujours visible au-dessus des HTB :
– Ce câble est présent systématiquement et le pilote doit passer plus haut
* L’Astigmatie même légère nuit à la détection des fils :
– En cross, le port des lunettes est indispensable aux myopes légers et astigmates
* Le Soleil dans les yeux :
– Si on ne peut pas voir où on va à faible hauteur, en zone inconnue: changer de plans
* Fatigue mentale et oculaire :
– Poser avant de perdre lucidité et concentration
Approche bien construite et PTU = pas de surprise. Un fil sera vu plus tôt
Approche à l’arrache en zones inconnues = surprises
CAUSE 2 : MARGES INSUFFISANTES
* Mauvaise évaluation de la hauteur :
– Un passage à la verticale des pylônes permet une évaluation plus facile
* Mauvaise évaluation de la finesse :
– Conserver des distances de sécurité verticales et horizontales
– Augmenter radicalement les marges lorsqu’il faut passer deux lignes parallèles
* Perte de hauteur importante :
– Les pylônes sont parfois implantés sur les crêtes et constituent des déclencheurs en plaine : possibilité d’ascendances et descendances fortes voire de vracs
* Passage en-dessous des lignes HTB :
– Prise de risque démentielle pour gain dérisoire, vu souvent à Roldanillo
CAUSE 3 : MANQUE DE PREPARATION
* Reconnaissance incomplète de l’atterro et de ses alentours :
– Les lignes devraient toutes être identifiées lors du repérage en vol sur site
– La perte d’altitude en XC doit se consacrer à l’observation des lignes et des conditions
* La préparation du plan de vol :
– Prise d’information sur les lignes problématiques auprès des pilotes locaux
– Les lignes HTB peuvent être repérées sur les cartes IGN 1/25 000
– Les HTA n’apparaissent pas sur cartes et difficilement sur les photos aériennes :
on peut chercher les trouées forestières, les pylônes et leur ombre
CAUSE 4 : VENT
* Une brise puissante en basse couche peut contrer, voire faire reculer :
– Evaluer le vent au sol, visualiser les écoulements, anticiper avec un placement largement au vent des lignes avant d’entrer dans la couche de brise
* Renforcement du vent météo :
– Changer de plan de vol, anticiper l’atterrissage
– L’aile recule vers une ligne : posé rapide d’urgence. Ne pas rester spectateur
* Le vent peut pousser une fois posé vers des lignes à l’arrière du terrain :
– Poser avec un maximum de marge au vent du terrain
– Anticiper en choisissant un autre terrain
– Se préparer à un affalage dynamique rapide
CAUSE 5 : VERROUILLAGES MENTAUX & EFFET TUNNEL
* Des configurations inédites qui bloquent toute initiative. La peur qui altère toute analyse
* Situations sans issue évidente (cerné par des lignes et des falaises, marche arrière…)
– Respirer profondément
– S’autoriser toutes les solutions, même les moins élégantes : poser dans un arbre, aux oreilles, vent de cul ou de travers, sur une route, peser le bénéfice / risque d‘une parachutale ou simplement renoncer à forcer le passage
RISQUES MECANIQUES
COLLISION LATERALE
* Risque de rupture de suspentes
* Risque de fermeture asymétrique. Peut provoquer ensuite une collision de front
COLLISION FRONTALE
* Fermeture frontale / décrochage / parachutale ou vrille à faible hauteur : si la hauteur le permet (HTB), tenez une main prête à tirer le parachute de secours.
* Enroulement de la voile autour de la ligne. La voile peut rester suspendue, mais aussi se libérer et chuter.
RISQUES ELECTRIQUES
Tout contact ou amorçage expose à un risque mortel, quelle que soit la tension.
Les courts-circuits exposent à des lésions potentiellement fatales, des incendies, des éblouissements, des effets de souffle et des traumatismes sonores.
Amorçage : un arc électrique peut se former à l’approche des lignes, surtout si l’air est humide. La distance d’amorçage varie selon la tension : se maintenir à 20m de la HTB et 2m de la HTA exclut tout risque d’amorçage. Pas d’amorçage en BT.
Court-circuit : lorsqu’un conducteur de faible résistance relie soit
– 2 phases
– 1 phase avec le neutre
Les suspentes Polyamide (aramide) et polyéthylène (dyneema) sont peu conductrices à sec
Le corps humain est très conducteur.
CAS 1 : VOILE ENROULEE SUR UN SEUL CABLE (HTB)
* Le pilote est au potentiel de la ligne. Pas de coupure du courant
* Rien ne se passera tant qu’il ne touchera rien d’autre
* Il ne doit pas chercher à se dégager et surtout pas à rejoindre un pylône ou descendre sur les suspentes du parachute. Appeler les secours et attendre, éventuellement préparer le secours, ou assurer l’accrochage à la ligne si c’est possible pour éviter la chute.
CAS 2 : VOILE ENROULEE SUR LE CABLE DE GARDE (HTB)
* Le pilote est au potentiel du câble, qui ne porte pas de courant
* Dans la plupart des cas, les suspentes s’appuient aussi sur une phase qui passe juste en dessous (photo)
* C’est alors une situation de court-circuit mais l’électrisation n’est pas fréquente :
Les suspentes sont peu conductrices si elles sont sèches. Le courant n’est pas coupé.
* Si court-circuit : 3 réenclenchements automatiques (rapide/lent/rapide) dans les 10 sec avant coupure définitive du courant
* La sellette très proche de la phase peut subir un courant d’induction : formation d’arcs électriques entre les pièces métalliques. Brûlures face aux maillons, perte des instruments
* Si le contact n’est pas fatal, la situation électrique n’empirera pas. Le pilote ne doit plus bouger à moins d’un péril imminent. Le courant circule encore. Il peut s’assurer au câble sur lequel il s’appuie afin de ne pas tomber si la voile se libère
CAS 3 : LA VOILE OU LES SUSPENTES TOUCHENT PLUSIEURS CABLES DE PHASE
* Court-circuit
* En HTB tout est pulvérisé
* En HTA, les fils sont mis en contact : explosion, disjonction, la voile en court-circuit peut brûler, les suspentes peuvent rester enroulées sur les lignes (fréquent)
* HTA et HTB : 3 ré-enclenchements automatiques (rapide/lent/ rapide) dans les 10-15 sec avant coupure du courant
* BT : pas de réamorçage si le fusible saute
CAS 4 : LA VOILE TOUCHE UNE LIGNE ALORS QUE LE PILOTE EST POSE AU SOL (HTA et BT)
* Situation de court-circuit entre la phase et la terre
* Electrocution possible surtout avec des suspentes humides
* Si court-circuit : 3 ré-enclenchements avant coupure en HT, Coupure directe BT
* Si pas de court-circuit : le courant circule encore, ne surtout pas chercher à décrocher la voile avant l’intervention d’un technicien réseau électrique (via les pompiers)
* Ce cas vaut aussi pour un accrochage sur HTB avec appui sur un Pylône
CAS 5 : LA SELLETTE OU UN PIED FROTTE UN FIL EN PASSANT RIC-RAC AU-DESSUS D’UNE LIGNE
* Pas de conséquence électrique si un seul fil est touché mais toujours un risque d’amorçage
* Le vol de l’aile peut être altéré : incident près du sol ou collision dans un fil suivant
* HTA et BT : les fils sont proches et, surtout par forte chaleur lorsqu’ils sont dilatés, peuvent être rapprochés lors d’un choc au point de provoquer un court-circuit.
Suspendu à une ligne…
* La situation électrique n’empirera pas. Le pilote encore vivant le restera en ne rien faisant
* Ne surtout pas chercher à rejoindre le sol ou un pylône (et ses isolateurs) tout seul
* Appeler les Pompiers (18), ils sont en liaison avec Enedis et RTE pour couper le courant
* Le pilote peut sécuriser son accrochage avec une longe de fortune en attendant de l’aide : seulement sur la ligne avec laquelle il est en contact. Il peut aussi armer son secours (pour l’utiliser en longe ou pour le déplier en htb)
* Sur la HTB, les câbles multiples reliés ensemble par des entretoises sont sur la même phase : en toucher plusieurs c’est comme n’en toucher qu’un seul
* Un arc entre les maillons peut griller les instruments sur le cockpit : le téléphone placé dans la poche à la poitrine ou des softlinks peuvent être salvateurs
* Témoin d’un accrochage, ne rien tenter, sinon de contacter les secours en précisant si possible le nom de la ligne et le numéro inscrits sur le pylône
QUESTIONS DECISIVES EN CAS DE COLLISION INEVITABLE
* Risquer la collision avec les fils ou tenter une manœuvre radicale d’évitement à faible altitude ?
Les lignards professionnels prônent « tout sauf le risque électrique », auquel s’ajoute toujours un réel risque de chute. Le danger n’est pas le même lorsque le corps risque de faire court-circuit ou lorsque ce n’est que la voile ou les suspentes. On peut réfléchir à froid à ces situations et à la balance des risques de tenter par exemple une parachutale en fonction de la hauteur.
* Taper les fils ou le pylône ?
Surtout pas le pylône s’il y a risque de toucher aussi les fils
* Taper un câble de garde ou un conducteur ?
Le câble de garde n’a pas de courant mais il surplombe un conducteur avec lequel les suspentes peuvent faire court-circuit. Sur les pylônes double-ternes (2×3 phases), les phases différentes se surplombent. Danger !
* Taper les fils ou un arbre ?
Sans aucune hésitation : un arbre
* Peut-on passer entre les lignes ?
– La distance entre les fils de phase dépend du voltage : 1m à 1,5m en HTA, 5 à 10m en HTB
– Une aile en vol normal peut difficilement passer à travers deux conducteurs HTB sans les toucher et encore moins sans percuter un câble de garde.
– A travers une HTA, c’est le corps pilote qui pourrait créer le court-circuit : Danger de mort !
* Dans les lignes sous Parachute de secours
– Un parachute de secours peut difficilement passer entre les conducteurs HTB à cause du câble de garde
– L’aile principale décrochée constitue un danger supplémentaire si elle n’est pas ramenée auprès du pilote. Elle peut créer un court-circuit. Elle peut aussi augmenter la dérive et ainsi faire percuter une ligne (mais aussi permettre de passer derrière).
– Dans une région dense en lignes électriques, un secours dirigeable est une bonne option
* En cas de chute de ligne électrique à terre
– Electrocution possible au sol sans contact avec le conducteur
– La coupure de courant n’est pas automatique
– Le courant peut encore passer dans un fil sectionné
– Ne surtout pas partir en marchant ou courant : rester sur place les pieds serrés ou s’éloigner en sautant à pieds joints, sans rien toucher. Deux appuis espacés créeront un choc
VOUS TROUVEZ QU’IL Y A TROP DE LIGNES
* L’enfouissement en zone rurale est rare et onéreux
* Le nombre de lignes électriques reflète la consommation de notre société et donc aussi la vôtre
* La consommation individuelle a augmenté de 50% depuis les années 80 malgré l’amélioration radicale de l’efficacité énergétique. C’est l’effet rebond
* Le dimensionnement des réseaux devra augmenter avec certaines transitions (voiture électrique…) : des lignes THT seront probablement créées ou doublées
* Vous pourriez développer votre production autonome d’électricité, explorer les leviers de réduction de votre consommation (scénario Négawatt) et souscrire un abonnement auprès d’un opérateur local d’électricité renouvelable qui ne nécessite pas de transport longue distance (HTB)
Remerciements :
Charles Bellotte, gérant et formateur HTA chez Energy AER
Martial Cherasse, Lignard HTB chez RTE