Une année ne s’était pas écoulée depuis l’accident nucléaire de Fukushima Daiichi, qu’en bons kamikazes, les watermen japonais étaient déjà de retour à l’eau. Alors qu’en 2011, les italiens faisaient l’impasse sur le PWA de Corée distant de 1000km et Dunkerbeck refusait de mettre les pieds à Hawaï, ces types sont ils vraiment fous de faire trempette aux frontières du no man’s land à 10km du monstre? Dans ce cas, que penser des plages françaises voisines de l’usine Areva, dont la presse titrait l’an dernier qu’elles étaient plus radioactives que celles de Fukushima ?
Vincent Chanderot, WIND mag, Juin 2014 (Photo Joana Hahn)
La technologie nucléaire du pays le plus high-tech au monde n’a pas résisté aux événements naturels. Trois des réacteurs de la centrale de Fukushima Daiichi sont entrés en fusion suite à la défaillance des circuits de refroidissement, avec les dégâts qu’on connaît : une très forte pollution radioactive dans l’océan et une région condamnée à jamais. Depuis, les réacteurs doivent être arrosés en permanence afin qu’ils ne repartent pas en fusion et cette eau contaminée s’infiltre dans le sol, puis dans la mer. Les fondations baignent dans 90 000 tonnes d’une eau extrêmement radioactive, qui souille doucement la nappe phréatique et l’océan. Toutes les 60 heures se construit un réservoir pour y stocker les eaux pompées, ils sont plus de 1000, mais construits à la va-vite, certains commencent déjà à fuir. Il existe bien un chantier de ceinture de glace en cours, pour limiter l’entrée dans la centrale des 1000t d’eau ruissellant de la montagne chaque jour, mais il est bien mal engagé. La société Tepco reconnait un flux d’eau radioactive vers l’océan d’au moins 300 tonnes par jour, sans compter les vidanges volontaires, mais peu d’informations fuitent sur son activité.
L’appel des vagues
Les autorités, misant sur la dilution de la pollution radioactive par le courant du Kuro-shio, ont rapidement laissé reémerger les activités nautiques sans entraves. Hiromi Matsubara, président de l’association Surfrider au Japon nous a raconté : « Après la pollution initiale qui a largué notamment césium, iode radioactifs, plutonium et strontium, le second obstacle au retour à l’océan était la dévastation du littoral ». Les accès aux plages étaient impraticables, le sable complètement recouvert de débris. Plusieurs années après la catastrophe, on trouve encore, entre deux eaux, des vestiges arrachés à l’île par le tsunami. Beaucoup de japonais refusent encore d’approcher l’océan, redoutant d’y voir flotter les fantômes des victimes englouties. D’après notre activiste Nippon, une bande de kamikazes s’était remise à l’eau sur le spot de Kitaizumi (26 km au nord) quelques semaines seulement après l’explosion. Aujourd’hui, ce spot situé à Minamisoma a retrouvé le tiers de sa fréquentation; le grand spot de Iwaki, à une quarantaine de kilomètres au sud de Daiichi, la moitié. Ce sont essentiellement les anciens qu’on retrouve à l’eau, dont la philosophie dénote avec l’abnégation japonaise : « Quitte à vivre sur une terre radioactive, respirer de l’air radioactif, manger de la baleine radioactive fourrée au métaux lourds, autant ne pas se priver d’un dernier petit plaisir. Mais sans les gosses, on les laisse à l’abri, au sec ». C’est peut être ce dernier refuge qui pousse même certains a pénétrer la zone d’exclusion, pour y surfer des vagues interdites. Les autorités locales encouragent le retour des activités nautiques (sur la base de dosages inférieurs à 10 Bq/L pour le césium à Iwaki), mais nombreux sont ceux à rester méfiants face aux incertitudes et aux innombrables mensonges de l’exploitant Tepco ou du gouvernement. Car c’est bien la collusion entre l’organisation de sureté nucléaire et la Tepco qui est coupable de cet accident…. Quoiqu’ils puissent dire, la récente capture à Iwaki d’un poisson 124 fois plus radioactif que la limite admise ne contribue pas à rassurer les foules.
Fukushima c’est bien, La Hague, c’est mieux
L’eau radioactive fait-elle aller plus vite? Nul besoin de traverser d’aller à Daiichi ou Mururoa pour mener l’expérience. A une quinzaine de kilomètres des côtes normandes, dans la vallée Hurd Deep, 28 500 fûts de déchets radioactifs abandonnés par anglais et belges sous à peine 100m d’eau, se font doucement grignoter en compagnie de centaines de tonnes de munitions. Peut-être existe-t-il un lien, toujours rejeté par les autorités, entre le fort taux de leucémies qui frappe l’île d’Aurigny et ces fûts. Mais il y a pire. La radioactivité contenue dans tous ces barils représente à peine quelques mois de rejets de l’usine Areva de La Hague, le site nucléaire le plus polluant au monde. Certains radioéléments (tritium, 129Iode, 106Ruthenium, 14Carbone, Plutonium) sont rejetés en plus ou moins grandes quantités via un émissaire en mer s’ouvrant devant le nez de Jobourg, afin que le puissant Raz Blanchard les dilue jusque dans les eaux scandinaves. Malgré cela, la radioactivité n’est pas négligeable à la côte. Elle est mesurée en baie d’Ecalgrain par le laboratoire indépendant de l’ACRO à 15-27 Becquerels/L rien que pour le tritium, soit cent fois la radioactivité naturelle du site. C’est plus qu’à proximité de Daiichi où le labo a mesuré entre 3 et 13 Bq/L. Une mesure exceptionnelle à 110 Bq/L, synchrone avec un rejet, a défrayé la chronique Normande l’hiver dernier. Les journaux ont titré sans qu’on puisse leur donner tort ni raison, que les plages seraient plus radioactives qu’à Fukushima. Antoine Bernollin de l’ACRO nous a confié que ce qui était vrai pour un élément ne l’était pas forcément pour d’autres. Il y a plus de tritium dans l’eau face à l’émissaire de Areva, mais il y a certainement plus de produits de fission au Japon. Sa préoccupation va plutôt à la fréquence des rejets, qui peuvent conduire à un empoisonnement chronique à doses faibles de l’écosystème et notamment une bioaccumulation chez les moules. L’IRSN ne conteste pas les valeurs relevées, mais affirme qu’elles ne constituent pas une menace. Nous avons interrogé le président de la Crii-Rad, le Pr Roland Desbordes: « les connaissances sur la toxicité du tritium sont limitées et remises en cause. On pensait que l’eau tritiée (*H2O comprenant du tritium, Ndlr) ne posait pas de problème sanitaire, or, lorsqu’il est ingéré, le tritium peut passer sous forme organique et s’avérer radiotoxique ». Il lui semble toutefois que les risques soient limités pour un planchiste du cotentin. Il n’exclut pourtant pas qu’un jeune en croissance, naviguant régulièrement à proximité de l’émissaire (devant lequel on peut compter plusieurs milliers de Bq/L), buvant la tasse plus que de raison et consommateur de produits de la mer locaux puisse franchir la dose limite annuelle de radioactivité fixée à 1mSv pour les civils.
Le backloop énergétique
Le gouvernement libéral du japon a déjà relancé ses centrales nucléaires malgré l’opposition de sa population. Il semble que, malgré plusieurs accidents dramatiques, l’industrie nucléaire demeure ce poison invisible et sournois qui parvient toujours à faire oublier ses travers aux politiciens, alors qu’elle n’oubliera pas de se rappeler aux milliers de générations auxquelles nous léguons les déchets hautement toxiques de notre confort électrique. Le pari nucléaire a proliféré partout, avant d’avoir trouvé quoi faire des déchets, toxiques pour des milliers d’années, ou en cas d’accident, pour lequel la responsabilité d’EDF couvrirait le rachat de quelques maisons, laissant le solde à la charge des contribuables. A Fukushima, des sdf sont payés au noir, sans suivi médical (comme les mineurs nigérians de Areva) pour racler la terre irradiée sans trop savoir qu’en faire. Chez nous, des déchets nucléaires patientent dans des piscines sous une tôle, ou dispersés dans nos routes, canalisations et dans l’acier de nos bagnoles. A l’heure du débat sur la transition énergétique Française, où se pose la question de diminuer la part du nucléaire, il sera utile de ne pas oublier ces choses là. Le nucléaire n’est ni une énergie renouvelable, ni d’avenir, ni peu chère. La dernière mine d’uranium sera tarie avant le dernier puits de pétrole. L’électricité n’est pas moins chère chez nous, elle a juste été hautement subventionnée par vos impôts, tandis que les dommages environnementaux restent à la charge de la société et que les coûts colossaux du démantèlement et du stockage à long terme ne sont pas intégrés. Par ailleurs, des économistes de l’école des mines, principale pourvoyeuse de nucléocrates, concèdent dans « Nucléaire On/off », la flambée des coûts depuis fukushima.
Vivre en pays irradié, seuls les voisins de Tchernobyl et de Fukushima en connaissent l’angoisse. Est-ce une fatalité de vivre avec la possibilité, même mince, de voir le monde qui nous entoure irradiée à jamais? Plus de nucléaire implique plus de déchets donc in fine plus de radioactivité déversée près de spots. Que faire ? L’énergie la moins chère et la plus propre est celle qui n’est pas consommée, alors chez Wind, nous avons encore une bonne idée: consommer moins et se dépenser plus.