Nous nous étonnions il y a déjà dix ans, dans une enquête sur le bilan carbone du kite, de l’absence de matériaux recyclés dans les équipements les moins techniques. Ce virage, parmi les plus aisés à aborder, a enfin été pris pour les boardbags et sacs à voiles de deux marques leader. Les tissus recyclés font pourtant partie du paysage depuis longtemps dans la mode, les boardshorts et les combis. Par Vincent Chanderot, 2021, Kiteboarder , WIND
Les groupes Boards & more et Starboard affichent désormais une volonté de positionnement écoresponsable et cela passe pour l’instant essentiellement par deux stratégies : la compensation carbone et l’utilisation de polyester recyclé dans les sacs de voiles. Nous attendions cette dernière technologie de longue date, tant elle semblait couler de source, puisque utilisée en routine déjà chez Sooruz, Picture et Patagonia, des entreprises satellites du windsurf. Elle est à mettre au crédit d’un partenariat avec l’entreprise hollandaise de tissus polyester recyclés (rPET) Waste2wear.
La fibre recyclée
Les voiles sont en polyester, alors pourquoi n’en trouve-t-on pas en matière recyclée ? Ces tissus ne parviendraient pas encore à répondre aux standards de performance en voilerie en raison d’une perte de qualité du polyester durant la phase de recyclage mécanique. En effet, dans la filière traditionnelle, le broyage et la refonte des bouteilles dégradent la qualité du plastique. La dépolymérisation enzymatique ou chimique est quant à elle capable de restituer le monomère d’origine, par conséquent les polymères néosynthétisés disposent des mêmes performances que celles directement issues du pétrole et d’une recyclabilité infinie. Cette technique est cependant plus onéreuse donc rare et implique l’utilisation de produits chimiques. Si un rPET standard ne parvient pas encore à satisfaire North Sails pour une voile de l’America’s Cup, il est parfaitement adapté pour tailler un short, une veste ou un sac, dont les tissus ne requièrent rien d’exceptionnel. Le rPET est aujourd’hui assez bon pour être utilisé sans mélange de fibre vierge dans les sacs, ou mêlé à de l’élasthanne (polyuréthane), dont il existe aussi une fibre recyclée par Sheico le géant du néoprène, pour les shorts et lycras.
Pour ces utilisations, les tissus recyclés trouvent tout leur sens car leur production, moins polluante, réduit la demande en pétrole et constitue même une filière d’élimination des déchets. Le nylon (rPA) est aussi disponible en recyclé, notamment grâce à des bretons collectant les vieux filets de pêche dans les ports. Mieux encore, les italiens de Econyl traitent les filets fantômes causant des millions de morts animales inutiles, repêchés en mer par l’ONG Ghost diving. Les combis Sooruz et Picture utilisent le rPA de Sheico.
Un bilan écologique intéressant
La production de fil rPET consommerait selon Waste2wear 8 fois moins d’eau, 3 fois moins d’énergie et émettrait 4 fois moins de CO2 que le PET vierge. Quatorze bouteilles en plastique sont soustraites des décharges pour la fabrication d’un boardshort, c’est d’autant plus intéressant que beaucoup de producteurs de rPET sourcent aussi des bouteilles récupérées en mer ou sur les plages. Le fournisseur de sacs de kite annonce que 30% de ses bouteilles sont collectées par des pêcheurs misérables du fleuve Yang-Tsé, en complément d’une activité ruinée par la pollution et la surpêche.
En France, sur certains spots Atlantiques, vous avez probablement remarqué (et rempli, à n’en pas douter…) les « bacs à marée » de l’association Taho’e Eco-Organisation (TEO). Les débris collectés ici ne sont pas recyclés en vertu d’un principe de précaution. Les plastiques séjournant trop longtemps dans l’eau absorbent les Polluants Organiques Persistants (POPs), notamment des molécules toxiques de PCB et HAP, qui peuvent polluer la chaîne de recyclage. Aussi faut-t-il sélectionner ou décontaminer les bouteilles avec soin et contrôler avec rigueur le rPET marin, qui n’est jamais proposé pour l’habillement en France. Le laboratoire LIENS de l’université de La Rochelle travaille actuellement à des méthodes de détoxification de ces plastiques afin de rendre leur recyclage optimal.
Une filière sous surveillance
Quoique quasiment identique au PET, le rPET est bien plus onéreux. Comment s’assurer alors que son sac est bien tissé avec des fibres vertueuses ? La tentation pourrait être grande de nous faire prendre de la lasagne de cheval pour du bœuf en rajoutant discrètement de la fibre vierge. Ça n’a rien d’évident, aussi a-t-on recours à sociétés de certification ou des labels, mais on voit désormais aussi émerger de nouveaux outils. Par exemple cet incroyable marquage moléculaire du rPET : des séquences d’ADN sont incorporées dans ses fibres. Un petit test PCR permet de savoir à tout moment de la production si la fibre est bien issue de l’usine de recyclage et à quel taux ! Les fils rPET des sacs de Duotone et Starboard sont, eux, tracés par une blockchain à l’aide de QR codes. La blockchain est un fichier rendu infalsifiable par sa décentralisation. Toute tentative de modification de son contenu pourra être repérée puisque l’original est diffusé en grand nombre. La première blockchain de l’histoire était entretenue par une société de certification qui publiait chaque semaine dans les petites annonces du New York Times une attestation cryptographique de sa base de données. Il aurait fallu, pour la falsifier, récupérer et détruire les 600 000 exemplaires du journal et les remplacer par un faux! Le Bitcoin utilise aujourd’hui exactement le même concept, mais en beaucoup plus polluant, car la sécurisation de sa blockchain implique des millions d’ordinateurs surpuissants (les mineurs) qui tentent de résoudre un problème mathématique pour remporter un gain en bitcoins mis en jeu (la « proof of work » tandis que Eutherium bascule vers le “proof of stoke” en diminuant sa consommation de… 99,9% !!).
Vidons les poubelles… et les placards
Tous les plastiques sont recyclables, mais encore faut-t-il qu’ils soient recyclés. Les industriels jouent souvent de cette ambiguïté en faisant valoir un « 100% recyclable » qu’on n’observe quasiment pas en pratique, en particulier sur les emballages, le film alimentaire, le papier alu, la dosette, le polystyrène expansé… Beaucoup de matières valorisables finissent in fine en décharge ou dans la nature : il devrait y avoir plus de plastiques que de poissons dans les océans en 2050 ! Considérer les tissus synthétiques recyclés comme la solution à tous nos problèmes ou comme une démarche environnementale suffisante pour les entreprises est une terrible erreur. Tout d’abord parce que le modèle rPET, tant qu’il ne parviendra pas à fonctionner en boucle fermée, recyclable à l’infini, n’offre qu’un sursis. Il est fondé sur une production sans limites de bouteilles en plastique, un modèle insoutenable, auquel il faut ajouter la perte de qualité au fil des recyclages. Quand les industriels communiquent sur la diminution colossale des pollutions liées au rPET, ils évoquent la seule fabrication du fil. Or celui-ci ne constitue qu’une fraction du bilan environnemental du tissu fini, largement dominé par l’impact du tissage : Seulement 20% pour un tissu PET de 70 deniers (et 50% pour le nylon, où ça commence à devenir intéressant). On ne passe pour un tissu rPET que de 15kg à 12-13 kg CO2/kg hors transport. Voilà pourquoi Patagonia, qui utilise 85% de rPET, estime le bénéfice final en CO2 à seulement 8% bien que le fil gagne 75% sur ce critère. Par conséquent, il ne faudrait surtout pas percevoir les plastiques recyclés avec la neutralité qu’on veut leur accorder. Ils demeurent polluants et cela devrait justifier une utilisation noble pour ces matériaux de haute technologie. En n’omettant pas les pertes de milliers de microfibres plastiques qui terminent dans l’océan à chaque lavage de vêtement synthétique, ça devient une évidence : les fibres recyclées ne peuvent pas servir d’argument pour prolonger la surconsommation d’objets à obsolescence programmée. Recyclés ou pas, les lycras-souvenir de régates saucisson qui font plaisir mais ne serviront quasiment plus resteront ancrés dans le monde d’avant.