Un pétrolier qui coule, une plateforme pétrolière qui explose au large du spot : un cauchemar. Ces marées noires quoique spectaculaires ne génèrent qu’une faible fraction des pollutions marines par hydrocarbures. Beaucoup plus discrets, les 98% restants ne relèvent pas d’accidents ou d’erreurs, mais d’un acte délibéré
Plusieurs dizaines milliers de tonnes de pétrole suintent chaque année dans les océans, issues de sources naturelles. Dans plusieurs zones fracturées de bassins sédimentaires en Californie, en mer Rouge et Caspienne ou encore dans le golfe du Mexique, on peut observer des volutes d’hydrocarbures s’échapper de la roche. Il s’agit d’un phénomène normal lorsqu’une faille permet au pétrole de migrer en surface. Les hommes restent néanmoins responsables de plus de 90% des déversements d’hydrocarbures. En parallèle des secteurs de la production et du transport de pétrole, plus de la moitié des hydrocarbures déversés en mer proviennent des industries ou des activités humaines situées à terre. Les particuliers y contribuent directement par le remplissage de réservoirs, les fuites, les émissions d’hydrocarbures imbrulés, ainsi que pour certains délinquants (ils encourent 76 000€ d’amende), en jetant leur huile de vidange dans les égouts.
Pétroliers coulés
Seul le tiers des pollutions aux hydrocarbures incombe au transport maritime, mais il suscite la majorité des indignations. Les catastrophes générées par les pétroliers sont en légère régression à chaque décennie grâce à la généralisation des doubles coques et des aides à la navigation. Les accidents relèvent en effet à 80% de négligences et d’erreurs humaines (échouement et collision 62%, avarie suite à défaut d’entretien 13%). Nous ne sommes toutefois pas à l’abri d’un nouvel accident, notamment à cause des pays qui accordent leur pavillon à des bateaux-poubelles. Ces pavillons de complaisance, souvent mis en place avec le concours d’intérêts occidentaux, permettent aux armateurs de s’affranchir d’une fiscalité trop lourde, d’un droit du travail trop regardant et surtout de contraintes environnementales et sécuritaires trop strictes. Dans le top 5 des pavillons en nombre de bateaux perdus, tous sont complaisants. Un classement annuel est proposé chaque année par le « Memorandum de Paris » ou Paris MOU : on y découvre que les pavillons Panaméens, Libériens et Maltais, si fréquents, ont progressé dans la liste blanche, que les USA et la Suisse dans la liste grise ne sont pas au top et que les tréfonds du classement (dits à très haut risque) sont tenus par les pavillons Congolais, Togolais et Comoriens. Le premier registre du pavillon Français est au sommet, mais notre pays possède son pavillon de complaisance (décerné par la Fédération internationale des ouvriers du transport) : le pavillon « RIF » dit « Kerguelen », qui offre la possibilité d’employer 75% de marins extra-européens aux conditions salariales misérables de leurs pays d’origine, mais ne concerne pas les normes de sécurité et environnementales.
Catastrophes écologiques
Une marée noire, ce sont des plages interdites pendant plusieurs mois, mais surtout des millions d’oiseaux, de mammifères, de poissons, de crustacés, de mollusques et d’algues tués. Les images terribles d’oiseaux pêcheurs mazoutés ont tous marqué des générations, mais le peuple invisible des océans est aussi ravagé, en premier lieu le plancton dont se nourrissent les poissons pélagiques. L’accumulation d’hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), très solubles, toxiques et cancérigènes dans les tissus peut provoquer leur dégénérescence. Les branchies de poissons ne permettent alors plus une oxygénation efficace et les animaux filtreurs deviennent incapables de se nourrir. Les produits dispersants utilisés lors de marées noires inquiètent aussi. Ils fragmentent les nappes, afin de favoriser la digestion du pétrole par les bactéries ou du moins de le faire couler en boulettes. Ils sont plébiscités par les pétroliers pour réduire l’ampleur des indemnisations, mais plusieurs études suggèrent qu’ils multiplient par 50 la toxicité du pétrole brut sur le zooplancton. Au Texas et en Louisiane, des atteintes neurologiques extrêmement graves (cécité et paraplégie) ainsi que des cancers fulgurants ont frappé les plongeurs et ramasseurs exposés même brièvement au Corexit à la suite de la catastrophe sur plateforme Deepwater Horizon de BP.
Une faune sacrifiée, des vasières dévastées, un spot fermé, tout cela n’a pas de prix. Pourtant, le fonds d’indemnisation, le FIPOL, définit un plafond de responsabilité très bas et de longues procédures sont systématiquement nécessaires pour prouver l’existence d’un préjudice économique, le seul ouvrant à une réparation. Pour le Prestige, seuls 30% des dommages inventoriés auront finalement été indemnisés. Bien malin le planchiste qui parviendrait à être dédommagé pour n’avoir plus pu naviguer sur son spot !
Du goudron et des plumes
Les marées noires ne constituent que la partie émergée de l’iceberg, 5% des pollutions liées aux transports. Tout le reste relève du pénal, du goudron et des plumes pour les capitaines et armateurs crapuleux. S’il existe des rejets légaux d’eaux huileuses, jusqu’à 15 ppm (mg/L), tous les autres, illégaux, sont appelés improprement dégazages sauvages. Ce qu’il convient de définir par « déballastage » concerne les résidus d’huiles et d’hydrocarbures de propulsion de tous les types de navires de commerce ou de pêche. Le combustible est généralement le fioul lourd, constitué de résidus de distillation de pétrole brut. Ce carburant est raffiné à bord des navires en amont de la combustion et cette étape génère 1 à 3 % de résidus. Un gros porte-conteneur brûle 180 tonnes de fioul et génère 2 000L de résidus chaque jour. Pourquoi s’enquiquiner à perdre temps et argent pour décharger ce poison alors qu’on est tout seul au large ? Une estimation de WWF reprise par Total suggère que 83% des navires évacuent illégalement ces résidus en mer : 115 000 t sont déversées rien qu’en Méditerranée chaque année, soit l’équivalent de 25 marées noires du Prestige.
Le déballastage sauvage concerne aussi la vidange des cuves en mer. Quand les pétroliers sont vidés de leurs hydrocarbures, ils ne repartent pas à vide pour des questions de stabilité, mais se ballastent en les remplissant d’eau de mer. Cette eau stockée dans des cuves souillées devrait ensuite être prise en charge par une filière de traitement, mais encore une fois on rencontre les mêmes motivations à tout lâcher au large, d’autant plus que tous les ports ne sont pas équipés. Les contrôleurs peuvent évaluer la quantité de résidus qu’un navire devrait transporter. Ils sont malheureusement trop peu nombreux pour exercer une réelle dissuasion. Les moyens manquent, tout comme pour les avions des douanes, qui, seuls permettent de constater les flagrants délits préalables à toute action en justice.
Que fait la police ?
Mieux vaut toutefois ne pas se faire prendre à déballaster dans nos eaux territoriales. Les condamnations sont de plus en plus sévères et les amendes peuvent atteindre le million d’euros. Toutefois, la convention de Montego Bay attribue la compétence juridique, en cas de pollution au-delà des 12 milles, aux tribunaux du pays dont bat le pavillon du pollueur. Or quand ces pays font du pavillon de complaisance un business, on doit déplorer leur trop grand laxisme : La condamnation d’un armateur lituanien à une amende de 700 000 euros pour une trainée de 37 km dans les eaux Françaises a été annulée car un tribunal Balte avait entre-temps condamné l’armateur pour imprudence, avec à la clé une amende de 23 000 euros… encaissée par la Lituanie.
Et notre santé ?
D’après toutes les études, les boards ne sont rapides sur une mer bien huilée. Inutile de tester. Les dermatologues préconisent de se débarrasser rapidement des traces de pétrole avec de l’huile de tournesol ou de l’huile solaire. Le centre anti-poison recommande avec beaucoup de bon sens d’éviter les zones irisées et de ne pas y boire la tasse. Les effets de l’ingestion ponctuelle de pétrole sont semble-t-il rares et en tous cas peu documentés, en dehors de vomissements et de diarrhées. On ignore quel crédit accorder à ce fameux centre de santé Naphtalan en Azerbaïdjan, dont les toubibs promettent de résoudre les troubles musculo-squelettiques, neurologiques, vasculaires, dermatologiques et gynécologiques à l’aide de bains de pétrole brut, riche en naphtalène réputé cancérigène. Si on sait que les cancers sont plus nombreux autour de l’étang de Berre en raison de la pollution atmosphérique liée au pétrole, peu de scientifiques se sont intéressés à l’impact d’une mer souillée sur les usagers au quotidien. Alors si vous naviguez tous les jours au pied d’un pipeline percé, écrivez-nous, vous avez gagné !