Nos amis des Antilles subissent pour la quatrième année des invasions récurrentes d’immenses bancs d’algues brunes. Ces algues dites Sargasses peuvent former des cordons de plusieurs dizaines de mètres de large sur les plages des côtes au vent entre mai et novembre, paralysant la pèche, le tourisme et le windsurf. Pourtant connus depuis des siècles, il devient urgent de comprendre pourquoi les radeaux d’algues ont décidé de venir s’échouer ici, dans quelle mesure l’homme se cacherait une fois encore derrière et s’il faudra y faire face durablement, à moins que le phénomène ne disparaisse comme il est arrivé. Vincent Chandertor dans WIND mag.
Sinon qu’elles nageant en paquets grâce à des flotteurs, sans liaison avec le fond de la mer, les sargasses sont de banales algues brunes. Elles ont pourtant accouché de nombreuses légendes. La mer éponyme, située au bord du triangle des Bermudes est une gyre océanique, une région où aboutissent les courants tourbillonnaires de l’Atlantique nord. Aujourd’hui zone d’accumulation de déchets, elle fut dès ses premières descriptions, notamment par Christophe Colomb, une zone de concentration de nappes immenses d’algues, dans lesquelles des navires seraient restés bloqués pendant des semaines, encalminés dans la pétole d’une zone sans vents.
Voici un coupable tout désigné à notre affaire de marées brunes : la mer des sargasses déborderait de ses algues et les expulserait vers les Antilles à la faveur d’une modification des courants dûe au changement climatique… Cette hypothèse, en vogue aux débuts du phénomène en 2011 a pourtant été écartée à la faveur de suivis satellitaires et de marqueurs ADN.
Une petite mer des sargasses
C’est à l’est de la Guyane que se trouve apparemment une nouvelle zone d’accumulation des Sargasses, un réservoir à algues alimentant une boucle de courants entre le Nordeste Brésilien et le golfe de Guinée. Les eaux chaudes et riches en nutriments y sont propices à des blooms algaux. On sait que les poussières du Sahara constituent un apport crucial en Phosphates et en Fer à la forêt amazonienne. Il en serait de même pour les sargasses, qui trouvent dans ces brumes de sable ainsi que dans les eaux très chargées en nitrates et en matière organique issues des fleuves Amazone, Orénoque et Congo, tout ce qu’il faut pour former des radeaux géants de 500km. Au gré des saisons et des courants, les algues peuvent remonter au nord sous l’influence du courant des Antilles. Selon Maria Fernanda Seadi, océanographe et complice de Kauli, les mattes de sargasses putrescentes ne sont pas une nouveauté au Brésil, coutumier du phénomène à chaque saison des pluies. Elles sont même considérées comme bénéfiques dans une certaine mesure pour la croissance de certains poissons et la protection des plages contre l’érosion. Mais rien n’explique pourquoi les Antilles sont subitement submergées depuis 2011? Des anomalies de température et de courants ont été observées au tout début, mais pas depuis. Peut-être ces événements seraient-t-ils associés à des perturbations de la dynamique des écosystèmes, éventuellement en lien avec le changement climatique ? C’est la question prioritaire posée à la recherche Française par l’Etat, contraint de trouver comment récolter les algues et surtout quoi faire de ces milliers de tonnes de biomasse.
Comme un petit air de Bretagne
En attendant de trouver une explication et un éventuel remède, il est urgent de ramasser les algues sur les plages et dans les baies. Les hélices des bateaux ne tournent plus, les mises à l’eau pour les baigneurs ou les planchistes sont pénibles et déconseillées. Si les algues ne présentent pas de danger, leur forte densité peut gêner la nage et provoquer la noyade, de plus elles peuvent héberger une petite faune plus ou moins urticante, comme les jeunes poissons-scorpions, une autre espèce extrêmement envahissante. Les radeaux font écran au soleil, coraux et herbiers marins peuvent y succomber, tandis que la ponte et l’éclosion des tortues sont impossibles sur les plages recouvertes. La dégradation des sargasses compromet la qualité de l’eau et peut provoquer une surmortalité de la faune. Echouées, ces algues fermentent et dégagent du sulfure d’hydrogène nauséabond (une fragrance d’œuf pourri) et potentiellement dangereux. Moins que les algues vertes de Bretagne, qui ont tué des animaux, mais suffisamment pour gêner les riverains et provoquer des malaises.
L’analogie au phénomène breton est flagrante au détail près qu’il ne devrait pas s’agir d’une pollution locale. Ce phénomène est naturel, décrit depuis longtemps en d’autres lieux, et on ne peut affirmer que sa modification est clairement anthropique (pollution des fleuves ? changement climatique ?). En revanche, il ne fait aucun doute qu’en métropole, c’est l’élevage intensif et l’obstination des gouvernements successifs à ne pas vouloir faire respecter les règles, notamment sur l’épandage du lisier, qui sont responsables et coupables des blooms algaux.
Les Antilles restent une destination Windsurf
Les 8 associations membres du comité de suivi du plan Algues Vertes en Bretagne ont marqué leur désaccord avec le projet préfectoral de confier le ramassage à une société commerciale. Avaliser la création d’une filière industrielle pourrait conduire à renoncer à s’attaquer à la source du problème pour pérenniser une nouvelle activité lucrative mais nuisible aux sols, à l’eau, la plage et ses habitants. Aux Antilles, au contraire, c’est comme le messie que sont attendues des solutions industrielles, car aucune filière dans les petites îles n’a pas la capacité d’absorber les milliers de tonnes qui se déverseront sur les côtes. Un concours a été lancé par l’Ademe pour trouver une valorisation à toutes ces sargasses, peut être dans le bioplastique, la cosmétique ou l’agroalimentaire. Quant à la protection des plages, elle semble impossible. Aucun filet ne pourrait résister durablement à un tel volume. Les habitants, les clubs de windsurf locaux déplorent la grande quantité de discours au détriment d’actions concrètes, mais encore faudrait-t-il savoir quoi faire ? Le windsurf n’est toutefois pas condamné dans les îles du nord. Tout d’abord le phénomène n’est pas permanent. Certains spots sont nettoyés et permettent d’accéder au large, des lagons sont préservés et il existe toujours des possibilités sur les côtes sous le vent. D’après Eric Martin, du club Windsurf Sentann Guadeloupe, c’est dans les anses que les algues sont les plus problématiques pour la mise à l’eau. Une fois dans le bouillon, avec des ailerons anti-algues, il n’y a plus vraiment de problème. Il relève toutefois une dernière source d’exaspération : le sulfure d’hydrogène dégagé par les algues en macération ne se contente pas de puer, il oxyde aussi les composants cuivre et argent des appareils électroniques et met HS tout ordinateur, télé, téléphone, caméra vivant aux alentours.