L’appel au secours des dauphins échoués suivi de La longue agonie de Fluker fait converger les luttes
Naviguer en compagnie de dauphins ou de baleines est un privilège que peu d’entre nous ont eu le bonheur d’expérimenter. Il est malheureusement beaucoup plus fréquent de rencontrer ces sympathiques animaux échoués sur nos plages. Qu’ils soient agonisants ou déjà décédés, nous pouvons toujours agir… Par Vincent Chanderot dans WIND #375
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ll y a vingt-cinq ans, un navire amputait Fluker le Rorqual de la moitié de sa nageoire caudale. Délesté du reste de sa queue il y a un an, sans doute par un filet de pêche fantôme, il refait son apparition sur les côtes françaises. Incapable de plonger afin de se nourrir, il se meurt depuis un an. La peau sur les os, sa pauvre carcasse affamée vient hanter nos consciences en secouant les chaînes de notre indifférence pour la vie sur mer. Par Vincent Chanderot dans WIND #431
Les îles Féroé et la baie de Taji au Japon hébergent une terrible maladie : les gens y préfèrent les cétacés morts plutôt que vivants. Et s’ils peuvent s’occuper eux-mêmes du massacre, c’est encore mieux. Chaque année, presque 1 000 mammifères, pourtant protégés, sont massacrés à la hache lors de chacune de ces orgies par des pêcheurs ou des villageois ivres d’une folie meurtrière. Dans le reste du monde civilisé, des échouages massifs de mammifères marins surviennent assez régulièrement, mais déchaînent au contraire des tempêtes de solidarité et d’émotion. Depuis quelques hivers, la Nouvelle-Zélande traverse un drame national avec des vagues de centaines de baleines venant agoniser sur ses plages. En France aussi nos spots ne sont pas à l’abri de ces phénomènes, quoiqu’il s’agisse surtout d’échouages individuels.
Environ 600 mammifères –dauphins, baleines, cachalots, globicéphales- sont retrouvés chaque année, échoués sur nos côtes, mais ces derniers temps semblent exceptionnels : plus de 1000 cas en 2011, 2012 et 2013. Les échouages atteignent un pic pendant l’hiver, quand les forts vents d’ouest charrient sur les côtes de la façade Atlantique les carcasses des animaux morts au large ou quand de longues dépressions ont épuisé à mort les animaux les plus faibles. Dans 90 pourcent des cas, les échouages individuels concernent des individus déjà décédés et en France il s’agit à 75% de dauphins ou de marsouins. Sur les côtes de la Manche, ces derniers ont subi une augmentation de 400% des échouages en 10 ans.
Des pistes d’explication
Dauphins et baleines ne sont pas immortels et seule une petite partie des animaux morts en mer sont charriés jusqu’aux côtes, quand les cadavres des autres coulent ou sont nettoyés par des charognards. Il existe de nombreuses causes de mort naturelle, liée à l’âge ou aux maladies, dont les epizooties de Morbilivirus du dauphin, qui continuent de décimer des populations importantes. Les échouages d’individus vivants sont beaucoup plus rares et peuvent concerner des jeunes immatures ayant perdu leur mère ou des chasseurs piégés par la marée. Les phénomènes collectifs sont souvent attribués à un coup de folie du mâle dominant qui précipite dans sa chute l’ensemble du groupe extrêmement grégaire, comme les Lemmings du haut de leurs falaises. Quelques hypothèses, telles que les champs magnétiques conduisant aux côtes sont loin de faire consensus. Le « suicide collectif » guidé par le mâle pilote, serait lié à des pathologies du sens de l’orientation, dont certaines sont clairement corrélées à des activités humaines.
La signature humaine
Les puissants sonars utilisés par les militaires mais aussi parfois par les scientifiques ou les pêcheurs peuvent occasionner selon leur fréquence et intensité une forte gène, une panique, voire la mort. On ne compte plus les animaux acculés dans le fond des baies quand la biologie marine n’est pas prise en compte lors des exercices militaires. Les ondes peuvent se rendre insupportables au point de créer des hémorragies des poumons, sinus, oreilles et mandibule. Elles peuvent rendre l’animal sourd, ce qui compromet fortement sa survie. Les ondes provoquent également la diffusion de l’azote dans le sang des animaux ayant effectué de longues plongées, donc à une embolie gazeuse et la mort.
Le CRMM, Centre de Recherche sur les Mammifères Marins de l’université de la Rochelle, coordonne les interventions et autopsies sur les mammifères échoués. D’après ses analyses, 63% des échouages portent les stigmates d’une capture « accidentelle » : les filets dormants et les chaluts pélagiques infligent des blessures mortelles quand ils ne tuent pas les dauphins pris dans leurs mailles. S’ils ne parviennent pas à en réchapper avec souvent un handicap, les animaux sont rejetés à l’eau, morts ou agonisants, par les pêcheurs qui ne s’encombrent pas à bord de poissons invendables. Seule une fraction minime de ces prises dites accidentelles se retrouve ensuite à la côte.
Un spectacle hallucinant
Plusieurs dizaines de phoques s’échouent aussi chaque année sur nos spots ainsi qu’une dizaine de baleines (à bec, à bosse, rorquals) ou cachalots. Depuis quelques années, un nouveau spectacle morbide est apparu. Contrairement à ce que l’on pense, ces animaux agiles, dauphins compris, peuvent tout à fait être percutés par les bateaux. 20% des rorquals morts connus en méditerranée le sont du fait d’une collision, c’est énorme. Deux cas sont signalés chaque année sur les rapports de mer, mais il devrait s’agir en réalité de 20 à 30 fois plus! On voit de fait souvent des cargos entrer dans les ports avec des baleines de 40 tonnes empalées sur leur bulbe d’étrave. Un spectacle désolant dû à la vitesse importante dans des zones de fortes densités de population.
Quoi faire ?
Si vous êtes témoin d’un échouage, contactez immédiatement les pompiers et le CRMM au 0546449910 (7j/7). Il coordonnera les secours ou l’autopsie, qui alimentera les connaissances sur les causes de mortalité. Si l’animal est décédé, ne le touchez pas car il peut être vecteur de maladies. S’il est vivant, attendez les secours et surtout ne le tirez jamais par les nageoires. Faites le calme autour de lui, éloignez les chiens et les enfants, ne le manipulez pas inutilement. Battez-vous pour que jamais ne se reproduise le spectacle insupportable de mexicains s’arrachant un pauvre dauphin pour un selfie. Couvrez le dauphin d’un tshirt humide sans jamais recouvrir ni arroser l’évent sur sa tête, par lequel il respire. S’il s’agit d’un phoque en détresse (attention, ils peuvent aussi venir se reposer sur la plage), appelez les secours et laissez le au calme et si possible au sec. Il n’a pas besoin de rester dans l’eau et pourrait même se noyer, mais attention, il voudra peut être se défendre si vous l’approchez. Vous qui savez comme il est bon de jouer dans l’eau, ne ratez pas une occasion de signaler l’échouage de nos petits collègues. Si vous ne les ramenez pas à la vie, au moins aiderez-vous la science et la statistique à tenter de les protéger.
La longue agonie de Fluker fait converger les luttes
Il y a vingt-cinq ans, un navire amputait Fluker le Rorqual de la moitié de sa nageoire caudale. Délesté du reste de sa queue il y a un an, sans doute par un filet de pêche fantôme, il refait son apparition sur les côtes françaises. Incapable de plonger afin de se nourrir, il se meurt depuis un an. La peau sur les os, sa pauvre carcasse affamée vient hanter nos consciences en secouant les chaînes de notre indifférence pour la vie sur mer.
Les spécialistes ne donnaient pas cher de sa peau, Fluker est pourtant parvenu à s’adapter tant bien que mal à l’ablation partielle de sa nageoire en 1999. Les photos livrées le mois dernier ne laissent malheureusement pas de place au doute. Fluker finira bientôt par crever de sa dernière rencontre avec l’humanité, qui l’a privée du reste de sa caudale. Ceux qui en sont responsables, s’ils s’en préoccupent, n’y pourront plus rien : il est quasiment impossible de sédater un géant des mers, de lui implanter une prothèse ou de le nourrir. Les jours qui lui restent à agoniser, Fluker aura peut-être à cœur de les exploiter pour revendiquer auprès des humains plus de respect à l’égard des océans.
Double peine
Les collisions avec les proues ou les hélices de bateaux sont la première cause de mort non-naturelle des baleines et cachalots. Dans le seul triangle du « sanctuaire pélagos » entre l’Almanarre, la Sardaigne et Rome, il s’en produit au moins 40 par an. La vitesse des navires et la densité du trafic dans les zones fréquentées par les cétacés sont la cause principale. Plus étonnant, le bruit sous-marin généré par les bateaux de passagers, de fret, de pêche (sans même évoquer les off-shore) est aussi en cause. Il constitue une pollution très peu réglementée, pourtant, selon Pélagos, « de nombreuses espèces marines sont très sensibles aux sons. Elles dépendent de ceux-ci pour s’orienter, trouver leur nourriture ou un partenaire, éviter les prédateurs et communiquer. Un lien a été démontréentre les bruits anthropiques et les captures accidentelles ou les collisions, ces bruits empêchant les animaux de détecter les navires ou les filets de pêche ». La perte totale de l’appendice caudal de Fluker semble incriminer un des innombrables filets abandonnés qui sèment la mort inutilement. Entortillé tel un garrot autour de la queue, il aura provoqué sa nécrose et sa chute.
Un accident pour rappeler une boucherie
Des petits camarades de Fluker subissent le même destin terrible dans le silence des profondeurs océaniques, à ceci près qu’il ne découle pas d’une coïncidence. Eux n’ont pas de petit nom, et pour cause : ils sont… 50 à 100 millions de requins chaque année à subir le finning. Cette pratique difficilement supportable consiste à leur trancher, vivants, les ailerons et la queue pour la soupe, avant de rejeter leurs troncs agonisants à l’eau. Les cales ne s’embarrassent pas des parties moins lucratives. Les pauvres requins incapables de se mouvoir meurent ensuite lentement dans une détresse terrifiante. Quoique interdite dans de nombreux pays (en méditerranée, les ailerons doivent être prélevés à terre), cette boucherie motive toujours des mafias, alléchées par les bols de soupe a 100$ avec la complicité de certains états. Que les afficionados de ce bouillon chinois insipide se contaminent au mercure n’est pas tant problématique que les conséquences écosystémiques de l’éradication du régulateur supérieur des océans, car c’est bien une extinction qui se profile. …
Boom des échouages
Les filets de pêche sont aussi à l’origine d’une hécatombe chez les dauphins. Nous reportions il y a trois ans le nombre préoccupant de cétacés échoués portant des stigmates de la pêche. Ces chiffres explosent depuis : on évalue à 11 300 le nombre de dauphins tués dans les filets du golfe de Gascogne en 2019. Vous en avez peut-être rencontré sur votre spot cet été. Selon l’observatoire Pélagis, en Août (d’habitude exempt de découvertes macabres), pas un jour n’est passé sans que des dauphins mutilés, éventrés ou dépecés ne viennent s’échouer sur nos plages. Une mortalité qui pourrait compromettre la durabilité de l’espèce à tel point que la commission européenne a mis la France en demeure d’améliorer leur protection avant l’automne. Il était question de poster des observateurs à bord de navires. Mais ces derniers sont trop nombreux et les refusent la plupart du temps. Ils sont parfois aussi trop exigus pour accueillir un passager supplémentaire et d’après les témoignages, des observateurs ont subi des pressions afin de falsifier les rapports.
La pêche irresponsable et coupable
L’ONG Sea Shepherd a mis en place des missions d’observation et de comptage, car pour l’année 2019 et ses 11 300 victimes, les pêcheries n’ont déclaré la capture que de … 4 dauphins. C’est moins que ce qu’a observé l’association sur un seul petit fileyeur en 24h. Elle déplore aussi qu’on laisse se multiplier sans mesures coercitives ces captures accidentelles avec des techniques non-sélectives. En Australie, un fileyeur capturant du dauphin resterait bloqué à quai. Par ailleurs, les prises dites accidentelles peuvent être commercialisées légalement. Si aucun poissonnier français n’achète de dauphin (et c’est pour cela qu’ils sont rejetés), il en va autrement d’autres espèces en danger telles que le requin-renard : 35 tonnes écoulées en 2018 selon l’Ifremer. Peut-on encore parler d’accident quand il génère un business ? Sans contrôles, sans sanctions, mais toujours de l’argent qui rentre dans les caisses, peut-on vraiment croire que les pêcheries sont incitées à innover pour éviter les 40 millions de tonnes de captures accidentelles dénombrées par la FAO ? La proposition, en vogue aujourd’hui, d’éloigner les dauphins des filets à l’aide de « pingers » émetteurs d’ultrasons inquiète les scientifiques. Le grand nombre de bateaux, la longueur des filets et l’efficacité des techniques de localisation des bancs de poissons, risquent fort de chasser tout simplement les dauphins des zones où ils peuvent se nourrir.
Je suis Fluker
La surpêche constitue un problème majeur et il y aura bientôt plus de plastique que de poissons dans l’océan. Des citoyens ont pris la mesure du danger, d’autant plus facilement que la consommation excessive de poissons gras (thon, saumon, requin, espadon, etc.) n’est pas recommandée, car leurs muscles accumulent les métaux lourds. Les amis des animaux détournés de la viande par les abattoirs s’émeuvent maintenant également du sort, finalement aussi peu enviable des poissons : asphyxiés, écrabouillés dans les filets, éviscérés à vif. Le consommateur peut diminuer sa pression sur les mers en mangeant moins de poisson et en cuisinant des espèces non-menacées, capturées en quantités soutenables avec des méthodes sélectives. Il existe de nombreux guides ou applis (Mr Goodfish, Greenpeace) pour prodiguer ce conseil que le poissonnier ne donne pas. Il existe aussi des labels, dont la probité est toutefois régulièrement contestée. Pour le WWF « MSC (pourtant créé par lui) répond plus à la demande du secteur de la pêche qu’à des preuves scientifiques».
La surpêche, la récupération des filets perdus comme les collisions avec les baleines sont in fine des choix politiques pour nos sociétés. Le sanctuaire pélagos où erre Fluker est avant tout une zone économique intense, il n’a pas autorité pour y imposer quoi que ce soit. On lit dans sa documentation cette recommandation à la vue d’un grand cétacé : réduire son allure en dessous de 13 kts « si possible »… tout est dit.
Marins et riders, qui avons parfois risqué le naufrage ou la noyade, affirmons notre solidarité envers les victimes d’un monde qui marche sur la tête. Qu’il s’agisse du peuple des mers, mais aussi évidemment des humains migrants, dont les vies sont englouties par milliers en Méditerranée dans l’indifférence générale.