A chaque session, il est toujours là. On le touche, on le sent, on le goûte, mais rarement on ne le voit. Sans lui pas de vie sur la Terre et moins encore dans les mers. Pourtant le plancton va mal, mais tout le monde s’en fout, comme s’il était inépuisable. Plongeons à la découverte de ce petit peuple des mers qui prend soin de nous comme une mère, mais peut aussi nous clouer à terre.
Par Vincent Chanderot dans WIND #413
Au prochain bain de minuit, emportez un masque et une torche. Brassez l’eau et apparaîtra dansant partout autour de vous le plancton luminescent. Qu’il soit végétal (phyto) ou animal (zoo) le plancton est partout présent en quantités parfois phénoménales, une seule goutte d’eau pouvant héberger des centaines d’habitants.
Des organismes microscopiques aux méduses, en passant par les colonies géantes ou les larves, ce monde dérivant recèle d’une diversité extraordinaire et d’une beauté insoupçonnée, que les images de l’expédition Tara Oceans (planktonchronicles.org) ont mis en lumière de façon magistrale.
La base
Le plancton, il y en a des tonnes et des tonnes, il représente plus de 95% de la masse vivante des océans. Heureusement, car tout le monde tape allègrement dedans et la vie sur Terre repose sur ses frêles épaules. Il faudrait 10 tonnes de phytoplancton pour faire vivre 1kg de thon. On croit, en raison de ses populations incommensurables, qu’il est invulnérable, c’est pourtant faux. Les pêcheurs de morue des bancs de Terre-Neuve pensaient au XIXè siècle que les morues manqueraient d’eau dans l’océan tant elles étaient nombreuses, pourtant il n’en reste quasiment plus aujourd’hui… Au commencement, ce furent les algues bleues, les cyanobactéries, qui permirent l’oxygénation de l’atmosphère et donc la vie hors de l’eau. Ces cellules minuscules continuent aujourd’hui encore, avec les autres espèces phytoplanctoniques, à réaliser autant de photosynthèse que l’ensemble des plantes terrestres pour absorber une partie du CO2 que nous émettons en excès.
Un colosse aux pattes d’argile
Comment imaginer que des populations aussi nombreuses et diverses puissent être menacées ? Certaines espèces ne tolèrent aucune pollution, tandis que d’autres y sont très résistantes. Parmi les Diatomées, une surcharge soudaine d’engrais ou d’herbicide dans l’eau modifie les équilibres de populations en favorisant l’explosion des seules espèces résistantes et gloutonnes. Elles étouffent les autres espèces en envahissant la quasi-totalité du milieu. L’eau n’offre alors plus les conditions propices à la vie, d’abord l’absence de lumière puis l’anoxie selon ce processus : les zooplanctons dont la taille de la bouche ne leur permet pas de se nourrir de cette unique variété de microalgue disparaissent, suivis de la chaîne de leurs prédateurs. Devenues trop nombreuses, les algues s’étouffent et meurent à leur tour. Des bactéries aérobies se chargent alors de leur dégradation en pullulant et consomment tout l’oxygène d’un milieu qui passe de hostile à mortel. Asphyxiées, à leur tour, les bactéries se dégradent en relarguant des minéraux, à nouveau disponibles pour un prochain bloom de phytoplancton… L’arrivée subite de nutriments se rencontre aussi dans un autre cas : les barrages sur les rivières carencent les estuaires de sédiments et de nutriments. Le plancton en souffre, jusqu’aux lâchers d’eau brutaux, qui provoquent le même genre de déséquilibres et des blooms. Les fameuses marées d’algues vertes relèvent des mêmes origines avec les mêmes conséquences : au départ l’agriculture intensive et au final, des morts possibles, car certaines algues bleues sont toxiques. Des chiens en France sont morts de s’être baignés dans de l’eau trop riche en cyanobactéries, mais des dizaines d’humains y ont aussi succombé dans d’autres pays, dont 76 dans un hôpital Brésilien. Parmi les 5000 espèces d’algues unicellulaires, une dizaine est toxique. La plupart sont des dinoflagellées, dont le gambierdiscus associé à la maladie de la gratte, la ciguatera, ou encore alexandrium, qui peut provoquer paralysies et pertes de mémoire lors de marées rouges.
Zones mortes
Le nombre de plans d’eau anoxiques (sans O2) ou hypoxiques (très faiblement oxygénés) en mer est en explosion : d’après une étude américaine, entre 2003 et 2008, ces « zones mortes » sont passées de 150 à 400. Il ne s’agit pas que de flaques, elles couvraient 245 000km2, dont le golfe du Bengale (sur deux fois la superficie de la Belgique), de grandes portions de la mer Baltique, du golfe du Mexique et du Pacifique central. Selon Laura Bristow du Max Planck Institute, auteure de l’étude, le nombre de ces zones augmenterait près des côtes aussi bien qu’en plein océan. Les planchistes des étangs entre Thau et Leucate ont bien connu ce phénomène accompagné d’une odeur d’œuf pourri, appelé ici la malaïgue (la mauvaise eau). Il arrive naturellement dans ces eaux stagnantes, salées, riches et chaudes, mais survenait de façon intense depuis les années 80 sous le coup de l’eutrophisation des eaux dues aux rejets. Sous l’impulsion du PNR de la Narbonnaise, la mise aux normes des stations d’épuration depuis 2005 a permis un redressement spectaculaire de la qualité des eaux, notamment sur Bages-Sigean et La Palme. Kattalin Fortuné, responsable des lagunes au PNR nous confiait que la malaïgue ne concernait plus que quelques rares endroits à la suite d’assèchements qui les déconnectent de la masse d’eau circulante.
Une inquiétude supplémentaire à imputer au changement climatique
Les eaux les plus riches en plancton se trouvent dans les zones d’upwelling. La circulation océanique reparaît en surface, remontant avec elles les minéraux coulés par le fond. La migration verticale des nutriments, essentielle à la vie du plancton, s’opère par convection dans les autres régions océaniques. Mais il semblerait qu’en se réchauffant depuis un siècle (+1°C en moyenne), les océans tendent à se stratifier par couches, bloquant ainsi la remontée des aliments vers la surface. D’autre part, le bond de la teneur atmosphérique en CO2 favorise la dissolution de ce gaz sous forme d’acide carbonique, diminuant de facto le pH de l’océan. Ces conditions plus acides rendent plus difficile la création du squelette calcaire qu’on retrouve chez de nombreux zooplanctons mais aussi phytoplanctons. Une étude publiée dans la prestigieuse revue Nature en 2010 prit tout le monde de court à l’époque : d’après ses auteurs canadiens le phytoplancton disparaîtrait de 1% par an et 40% de sa biomasse se serait déjà envolée depuis 1950.