Jet Stream et Gulf Stream, les frères de la côte

L’hiver est tempéré en France, en comparaison à la rive d’en face en amérique, et on attribue souvent cette chance au Gulf Stream. Il n’explique pourtant pas tout. Entre hivers déchainés ou très calmes, entre théories sur sa disparition et remises en cause de son influence, beaucoup de questions subsistent sur un système pourtant connu depuis 500 ans. Par Vincent Chanderot 2016, dans KITEBOARDER, WIND, Paramoteur +

Le « courant du Golfe » prend naissance aux alentours de la mer des Antilles, sous l’effet des alizés et de l’anticyclone des Açores. Les vents de nord-est génèrent un courant qui accumule dans golfe du Mexique des eaux chaudes et salées. Elles y sont contraintes, par la forme du continent américain et la force de Coriolis, de suivre le mouvement de l’anticyclone en mettant le cap au nord. Le débit au large du sud des Etats-Unis est alors cent fois supérieur à celui de l’ensemble des fleuves sur Terre. Les eaux du Gulf Stream sont ensuite prises en charge au niveau du Canada par le système dépressionnaire d’Islande. On ne devrait, à partir de ce niveau, plus parler de Gulf Stream : il s’agit des grands tourbillons du courant de dérive Nord-Atlantique, dont une branche vient nous réchauffer le littoral et dont l’autre part empêcher la formation de banquise sur les côtes Norvégiennes. La dépression d’Islande est celle-là même qui génère le courant glacial du Labrador, grâce auquel les Québécois jouissent d’un bon -10°C de moyenne en janvier, à la même latitude que la Vendée. Longtemps on a pensé que le Gulf Stream, en important la chaleur des tropiques, était seul le responsable de nos hivers tempérés et que s’il devait s’arrêter (une théorie plus récente) nous hériterions d’un climat semblable à celui de la Belle Province. Il semblerait pourtant que ce ne soit pas le cas.

Un mérite partagé

Certaines études suggèrent que l’influence du Gulf Stream devrait être minorée à 2-3 degrés et partagée avec deux phénomènes dominants. En premier lieu, la restitution de la chaleur accumulée par l’Atlantique pendant l’été à la circulation d’ouest. Et en second lieu les courants Jet (ou Jet Stream). Ces vents circumterrestres de haute altitude forment les couloirs pour les dépressions, les « Stormtracks ». Or, ils subissent une déviation vers le sud au niveau des Montagnes Rocheuses et imposent par conséquent un réchauffement aux dépressions en traversant les régions les plus chaudes de l’Amérique et de l’Atlantique. Les Stormtracks canalisent donc vers nous des dépressions en provenance du SW plutôt que du NW, voilà son influence.

Climat complexe

Le Gulf Stream est une constante de douceur, tandis que le Jet Stream peut générer beaucoup de variabilité dans notre climat hivernal. Ses ondulations sont souvent à l’origine de vagues de froid intenses. L’alternance hivers doux et froids s’explique notamment par l’Oscillation Nord-Atlantique (NAO). Lors la phase positive de l’oscillation, le gradient de pression entre l’anticyclone des Açores et la dépression d’Islande est important : les Jets puissants poussent les perturbations directement sur l’Europe du nord avec comme corollaire un temps doux mais pluvieux et venté sur la moitié nord du pays et un air sec dans le sud. La phase négative est caractérisée par un climat froid et sec au nord tandis que le sud est humide et doux. Cette NAO-  s’observe lorsqu’un Jet Stream plus mollasson franchit les montagnes rocheuses, en lien avec un anticyclone des Açores et une dépression d’Islande faibles. Le jet manque de puissance pour envoyer directement sur l’Europe du nord les perturbations, laissant ainsi s’y engouffrer l’air polaire froid et sec.

La pompe, sel de la vie

Le Gulf Stream n’est pas unique en son genre. Le Kuro Shio, par exemple, est son alter-ego dans l’océan pacifique. Il baigne les japonais de ses eaux chaudes et envoie, via la dérive nord-pacifique, la radioactivité de Fukushima vers l’Amérique. Mais ce qui rend le Gulf exceptionnel, c’est surtout la pompe thermo-haline qu’il active : l’Amoc (circulation méridienne de renversement de l’Atlantique). On observe autour du Groenland et quasiment nulle part ailleurs (en fait aussi un peu dans les mers de Wedell et de Ross) une plongée des eaux en profondeur, à l’origine même de la circulation océanique globale (le fameux « tapis roulant »). Les eaux chaudes et déjà très salées de l’Atlantique Nord subissent, lors de leur migration avec le Gulf Stream, un refroidissement et une forte augmentation de leur salinité du fait de l’évaporation, puis de la formation de la banquise, qui gèle l’eau mais rejette le sel. La salinité et le refroidissement densifient l’eau au point de la faire plonger. Cette subduction alimente la circulation profonde et crée un appel d’eau en surface, qui renforce le Gulf Stream. Aussi, la question du réchauffement climatique inquiète-t-elle, car le surplus de chaleur, s’il accentue l’évaporation, nuit à la formation de la banquise, fait fondre l’inlandsis groenlandais et augmente les précipitations. Cela diminue de facto la salinité, donc la pompe thermo-haline, peut-être jusqu’à son arrêt ?

La vie sans Gulf

Il est parfois question de la disparition du Gulf Stream, comme cela s’est déjà produit dans des contextes différents, avec le fantasme d’hivers froids comme au Canada. Nous avons pourtant vu que ce courant n’expliquait pas tout. Le débit du Gulf Stream semble s’être déjà affaibli de 15% et cela pourrait s’aggraver jusque -30% voire plus dans certains scénarios, mais il devrait pouvoir subsister, puisque généré par l’anticyclone des Açores dont l’arrêt n’est pas possible. Il semblerait par ailleurs renforcé par les fuites du courant des aiguilles, dont le débit tendrait à s’intensifier avec le réchauffement. Par conséquent, l’idée que le refroidissement dû aux modifications du Gulf Stream compenserait le réchauffement climatique en Europe est probablement très exagérée. Néanmoins le tarissement du Gulf Stream – ou plus pécisément celled de l’AMOC- inquiète la communauté scientifique. Le drame relèverait plus de l’interruption de la circulation globale que de celle du Gulf Stream. La fin du « tapis roulant » serait extrèmement lourde de conséquences, notamment pour la vie marine, l’oxygénation des océans et l’absorption de CO2.

[1] The European climate under a 2°C global warming. Robert Vautard et al. Environemental Research Letters 2014

[2] Institut Pierre Simon Laplace : institut de recherches en sciences de l’environnement sous tutelle des CNRS, CNES, CEA, IRD, ENS, Polytechnique, UPMC et 3 autres universités.

[3] Meteo France/CNRS  http://www.drias-climat.fr/decouverte/carte/experience?region=SAFRAN&generation=rcp

[4] Assessing climate change impacts on European wind energy from ENSEMBLES high-resolution climate projections. Tobin et al. Climatic Change (2015)

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