Pour une approche éthique d’un art perdu
Est-ce le retour de bâton d’une aspiration à plus de nature ? Cet été, plus qu’aucun autre, nous aura sidéré par la quantité de PQ trouvée en bordure de chaque plage, sur chaque sentier, derrière chaque buisson. Pourtant dès 1989, las de croiser des étrons à tous bouts de champs et de voir des spots américains restreints aux seuls possesseurs de toilettes portables, des kayakistes entamaient une action pédagogique de grande ampleur avec le fameux « Comment chier dans les bois ». Nous avons à notre tour missionné nos plus éminents spécialistes pour évoquer la question sans chichis dans ce milieu très spécifique fréquenté par les kites: comment chier à la plage ? Par Vincent Chanderot, KBR, Wind, Backcountry
Une envie pressante est certes irrépressible, mais que se passe-t-il donc dans la tête des gens pour qu’ils s’y adonnent exactement là où ils seraient dégoûtés que d’autres fassent de même ? L’étron posé sur le passage, c’est sale, polluant, mesquin. La crotte abandonnée, c’est un comble de l’égoïsme dans une nature partagée, mais il y a peut-être pire dans ces papiers souillés disséminés tout autour. Ils capturent le regard afin de s’assurer de ne rien manquer du spectacle.
C’est une agression pour tous les sens et pour l’ergonomie d’un spot : une touffe maculée et ce sont des dizaines de mètres carrés désertées. N’iriez-vous pas, vous aussi, gonfler votre aile sur des graviers abrasifs, plutôt que d’endurer la proximité du seul carré d’herbe souillé ? Savoir chier à la plage n’est pas qu’une question de savoir vivre, il en va aussi de la santé publique. Les excréments humains contiennent, entre 10 et 100 milliards de bactéries par gramme, dont certaines sont pourvoyeuses de maladies chez les animaux et les humains.
Outre Escherichia Coli, les staphylocoques, salmonelles et listeria, ils peuvent aussi héberger des kystes de Giardia. La thèse centrale de Comment chier dans les bois suggère qu’ils infesteraient la totalité des ruisseaux sur Terre, rendant leur eau impropre à la consommation dans n’importe quel cours d’eau. Et en filigrane, celle que l’humain est la seule espèce sur Terre, capable d’engloutir un « variant » le matin en Chine puis de le déféquer le soir au bord d’un ruisseau européen.
Droit au but
Contrairement aux idées reçues, quoique biodégradable, le colombin abandonné ne disparaît pas comme il est arrivé. Il faudra, dans les meilleures conditions, une semaine de pluies intenses pour en effacer toute trace, et parfois jusque un an dans les milieux les plus secs et pauvres. Les papiers roses, abandonnés avec mépris génèrent un malaise beaucoup plus durable. Beaucoup moins discrets et attribuables sans hésitation à l’humain, leurs teintes pastel souilleront le paysage pendant au moins un mois. Tout cela reste théorique et peut varier en fonction de la nature des sols, de la microfaune et de la pluviométrie.
La pose éthique d’un étron répond à plusieurs exigences. La première, visuelle : Elle devra s’exécuter franchement à l’écart afin de le rendre indétectable. Des copro-délinquants abandonnent leur rejeton à un mètre ou deux du passage. C’est trop peu. Par défaut d’équipement, de bonne volonté ou par précipitation, ils les laissent choir à même le sol, or, ils devraient systématiquement être enfouis avec le papier. Pour cela, il suffit d’un peu de temps et d’imagination : chercher le meilleur endroit deux minutes avant de céder à ses pulsions. Creuser avec sa mini pelle U-dig-it ou les moyens du bord.
Vient ensuite la performance sanitaire : le spot devra être sélectionné pour ses capacités à dégrader la crotte et pour sa faible exposition au ruissellement. On doit privilégier un sol riche en humus, entre sec et humide, de préférence ombragé, dans lequel on aura creusé un trou d’une quinzaine de centimètres de profondeur. C’est dans cet horizon que se trouve la faune coprophage à même d’accomplir le job. Un spot très humide n’accélérera pas la décomposition, en revanche le ruissellement disséminera les pathogènes, il ne faut donc pas chier au bord des rivières, dans les zones de ruissellement ou susceptibles d’être inondées. Si vous naviguez sur un lac de barrage, veillez à vous soulager au-dessus du niveau des plus hautes eaux. Les naturalistes préconisent de s’abstenir de déféquer à moins de 50 mètres d’un cours d’eau ou d’un lac et surtout de pratiquer le stirring. Ça consiste à touiller les fèces et l’humus à l’aide d’une brindille (qu’on laissera dans le trou) afin d’augmenter la surface de contact terre-matière fécale. Le papier ne doit pas être jeté ou enfoui, mais emporté avec soi dans un petit sac. Si exceptionnellement ça n’était pas possible, il faudra les mettre dans le trou sans tasser, afin de laisser l’air circuler. Il pourra avantageusement être remplacé par d’autres substituts, éprouvés dans le Gargantua de Rabelais, ou mieux, par un peu d’eau. Veillons enfin dans les endroits très fréquentés à ne pas ravager le sol et sa végétation : mieux vaut aussi s’épandre sur la prairie plutôt que de tous pilonner les mêmes arbustes, au risque de les tuer.
La plage, un monde à part
Beaucoup de nos spots en bord de mer sont loin de proposer une qualité de sol suffisante pour encaisser les souvenirs de tous ses visiteurs : le sable, le sel, une végétation chétive et l’exposition au vent ne sont pas favorables à la formation d’humus.
Quand il n’y a pas de terre ou de bâtonnets pour stirrer, c’est souvent qu’il n’y a pas de bactéries ou de microfaune pour dégrader la matière organique. Mieux vaut par ailleurs éviter de chercher un lieu d’aisance dans les milieux fragiles tels que les dunes. Piétiner et arracher les plantes, créer des cheminements contribue dramatiquement à l’érosion de la plage. Comment faire alors ?
Le mieux est d’anticiper la journée en quittant son domicile ou en s’accordant une pause en route. Un transit moyen devrait pouvoir surmonter l’épreuve le temps d’une journée. Dans les lieux très ensoleillés et vraiment déserts, la théorie n’exclut pas d’étaler la chose en couche fine sur la face sud d’un rocher avec l’outil qui vous siéra. Les microorganismes seront détruits par le soleil avant que la plaque séchée ne se décroche spontanément. Cependant si un témoin devait admirer votre œuvre (ou pire son exécution), il pourrait bien ne pas s’en remettre. La solution ultime adoptée par de nombreux sportifs outre-Atlantique est simplement de tout ramener « LNT, leave no trace ». Ils utilisent des tubes conçus à dessein, des tupperwares ou des toilettes portables.
Une solution low-tech pour soulager une envie est la toilette sèche de poche : un sachet de type fruits et légumes, dans lequel vous pouvez ajouter un peu de litière pour chat ou de sciure. Dans les cas les plus critiques, comme plusieurs jours en bivouac sur un spot isolé, on peut jouer au petit chimiste avec la poo powder de la NASA: un sachet, un peu de poudre, et d’un boudin mou il ne restera qu’un bloc deshydraté et inodore, idéal à stocker dans le camion du covoit ou le fond du sac de rando en attendant la prochaine poubelle ! Le kit prêt à l’emploi avec la petite lingette nettoyante s’appelle le Wag bag aux USA (3$).
Le papier n’est vraiment pas indispensable. Faites donc comme les deux-tiers de l’humanité en utilisant une poire-bidet portable, une tasse ou un petit pschitt-pschitt rempli d’eau qui peut aussi servir à rincer la board. Hygiène garantie avec juste besoin d’un petit essuyage périphérique.
Pourquoi pas dans l’océan ?
Les poissons ne creusent pas de trous et les marins ne se sont jamais gênés pour les imiter, pourtant on ne trouve pas les mêmes choses dans leurs fèces. Il faut composter les toilettes sèches pendant deux ans avant de pouvoir utiliser cet or brun sur les légumes, afin que soient détruits virus et bactéries pathogènes, lesquels peuvent aussi tuer ou rendre malade faune et flore aquatique. Les excréments humains sont aussi directement responsables de la mort de certains coraux. L’océan peut encaisser quelques crottes, mais déféquer directement dans l’eau, c’est la garantie d’une pollution sur le spot. Les étrons flottants finissent toujours par s’échouer sur l’estran après d’être répandus en volutes, donc par pitié pour les autres, que ceux qui aiment faire leur petite affaire en se baignant s’abstiennent!
Rappelons que le caca dans l’eau est le seul critère de mesure de la qualité des eaux de baignade en France, ça n’est pas innocent. Ni les métaux lourds, ni les pesticides, ni la radioactivité ne sont recherchés. Seules sont mesurées les concentrations de bactéries coliformes et entérocoques. Elles ne sont pas toutes dangereuses, mais font office de marqueurs d’excréments et traduisent la présence possible de germes pathogènes de toutes sortes pouvant provoquer des gastroentérites voire des infections plus graves. La convention MARPOL règlemente très clairement le rejet des eaux noires pour les bateaux : on ne doit pas vider les toilettes ou les cuves dans l’eau des ports et des mouillages (bien qu’on l’observe souvent dans la pratique), mais à plus de 12 milles au large. Les loueurs de voiliers incitent souvent à contrevenir à la loi et au bons sens en verrouillant la vanne de cuve d’eau noire pour éviter d’avoir à la vidanger et d’y plonger les mains si ça devait se boucher. N’acceptez pas, vous en seriez pour vos frais. Pourquoi baisser notre niveau d’exigence, alors que nous sommes les premiers à en subir les conséquences ?