L’hiver 2014 a été particulièrement rude pour les plages et les dunes de la façade atlantique. Les dunes on été grignotées jusqu’à cinquante mètres, tandis que les plages se sont amincies, comme à Ondres, où un bunker enfoui depuis 1977 a refait son apparition. Bien des choses expliquent cette disparition : gros swells, tempêtes par gros coefficients de marée, changement climatique, oscillation atlantique, la hausse du niveau de la mer… nous analysions la dynamique du sable dans le Wind n°361, mais on ne parle que trop rarement de la surexploitation industrielle de sables marins. Par Vincent Chanderot dans WIND mag
Les dunes sont grignotées en hiver par les tempêtes, c’est dans l’ordre des choses. Pendant l’été, le sable englouti est restitué et les plages s’engraissent, léchées par des petites vaguelettes. Beaucoup de plages sur terre sont pourtant en érosion faute de ne pouvoir être rengraissées. Les dunes sont grignotées mais le sable ne revient plus parce qu’il est bloqué ailleurs par des digues, ou parce qu’il est volé à l’océan. Et quand il n’y a plus de plage et que la dune ne peut plus reculer à cause du bétonnage, c’est depuis une route effondrée qu’il faut se mettre à l’eau…
Enquête sur une disparition
Le film de Denis Delestrac (disponible en VOD chez Arte) raconte merveilleusement la tragédie en cours. Car si le sable est pour nous synonyme de plages, vacances, windsurf, il n’en est pas moins omniprésent dans notre vie quotidienne. Le silicium extrait du sable, c’est le verre, la fibre de verre et les matériaux composites, donc les flotteurs, les avions, mais aussi les détergents, le dentifrice, le papier, le vin, les cosmétiques, les puces électroniques et les processeurs, donc les ordinateurs, les téléphones, les cartes bancaires… Le sable, c’est enfin, ajouté à 1/3 de ciment, le matériau performant et peu onéreux le plus utilisé par la folie bâtisseuse : le béton. Mis à part l’eau, aucune ressource terrestre n’est autant exploitée que le sable. Il en faut 200 tonnes pour construire une maison, 3000 t pour un hôpital, 30 000 tonnes pour un seul kilomètre d’autoroute et 12 millions de tonnes pour la construction d’une centrale nucléaire (sans le sarcophage en béton en fin de vie). Ce sont ainsi plus de 15 milliards de tonnes de grains, qui sont substitués chaque année aux carrières, aux rivières et aux plages. Partout le sable est utilisé comme une ressource infinie qu’il n’est pas et dans de nombreux endroits du globe, les réserves sont épuisées. A Dubai et à Singapour, à force de projets gandguignolesques, il ne reste plus rien. Le sable du désert, trop rond, ne peut servir à la construction, il a donc fallu importer du granule depuis l’Australie pour Dubai, et auprès de la mafia de Singapour depuis que ses voisins, las de se faire dépouiller, ont interdit ce commerce avec la cité-état.
A saisir : maisons les pieds dans l’eau.
Habiter au bord de la plage, c’est le rêve, dont beaucoup sont revenus, et pourtant on continue de bétonner partout. Aux USA, en Afrique, en Asie, en Europe, on ne compte plus les ouvrages dont les jours sont comptés parce que la dune (le réservoir tampon de la plage) a été éradiquée au profit d’immeubles et de parkings. On a beaucoup parlé du Signal à Soulac, construit initialement à 200m du front de mer. Il a été évacué cet hiver après des années de lutte perdue d’avance, mais tout ça ne semble pas être pris très au sérieux, puisque in fine ce sont vos impôts qui financent la protection des patrimoines privés. Au Maroc, il ne reste plus rien de plages censées attirer les touristes après que leur sable ait été pillé pour ériger les hôtels. Aux Maldives, 120 îles ont été évacuées, sous l’effet de la montée des eaux et de l’extraction sauvage du sable. Il ne remplit plus son rôle de barrière et entraîne avec lui la disparition des lagons, des coraux, de la faune associée et donc des pêcheurs aussi.
Et les shadocks remblayaient.
Parce que nul ne semble disposé à remédier à la racine du problème, i.e en rétablissant les dunes, les hommes se lancent à corps perdu dans le réensablement des plages. Un gouffre financier et une stratégie de court terme vouée à l’échec. Si le sable ne persiste pas naturellement sur une plage, pourquoi celui amené par camion y resterait-il? Tout le sable acheminé sur un projet californien de 17 000 000 $ a disparu en moins d’un an et au passage les fonds marins ont été dévastés. En Floride, où 90% des plages sont en voie de disparition, les dragues aspirent au large le sable ainsi que tous les êtres vivants au large pour les rejeter sur les plages. Les animaux et végétaux sont broyés ou enterrés vivants. Pourtant ce sable sert de frayère et les organismes benthiques qui y vivent stabilisent le sable du large et sont à la base de la chaîne alimentaire de toutes les espèces de la colonne d’eau.
Le cas de la France
Le film est très alarmiste, à juste titre. Il omet toutefois de préciser qu’en France, les granulats marins représentent jusqu’à 80% des besoins en sable de certains départements littoraux, mais encore une faible part des extractions totales. Cependant les carrières sont en voie de disparition et la ponction en rivière et en mer augmente pour faire face aux débuts de pénurie en IDF, Aquitaine, Bretagne, Midi-Pyrénées et Rhône-Alpes, faute de recours aux granules recyclés. En méditerranée, il n’y aurait selon l’Ifremer, pas d’extraction de sable à destination autre que le rechargement des plages. Au pays basque, dont les plages d’Anglet ont pourtant sévèrement reculé depuis la construction de la digue du Boucau, la préfecture vient d’autoriser la revente au BTP du sable dragué qui allait autrefois recharger les plages. En Bretagne, à Trébeurden, un projet fait l’unanimité contre lui. Suite à la fin de l’exploitation du Maërl (un milieu très riche et fragile d’algues calcaires rouges, utilisé pour amender les sols agricoles), le groupe Roullier lobbyise à mort pour extraire au bord de 2 sites Naturels, l’équivalent d’une pyramide de Kheops de sable coquiller tous les 10 ans. Au risque d’aggraver la disparition des plage avoisinantes déjà mal en point et d’éradiquer la pêche (la dune est un refuge de poissons), notre ministère du redressement productif, toujours très sensible aux chants des industriels et du productivisme à tout prix, rechigne à écouter la voix du peuple et de ses élus.
Le grain de sable dans le mécanisme.
Tout ce sable est le fruit d’une accumulation sur des milliers d’années. Le sable vient des montagnes, dont le granit ou le grès est érodé puis emporté par les rivières jusqu’à l’océan. Il faut plusieurs milliers d’années pour qu’un grain n’atteigne la mer, mais aujourd’hui, la moitié d’entre eux n’arrivera jamais au bout du voyage. Il y a sur Terre 845 000 barrages qui empêchent le sable d’accéder aux plages. Il s’en est construit rien qu’aux USA, 1 par jour depuis leur indépendance en 1776. En 2020, plus aucun cours d’eau chinois ne devrait atteindre la mer. Windsurfeurs, rejoignez le mouvement. Moins d’aéroports et de supermarchés. Plus de plages !