INDISPENSABLES POSIDONIES

Sur certains spots de méditerranée, une bonne session commence et se termine toujours par un bon bain d’algues poisseuses. Certains s’étonnent que ces banquettes de posidonies ne soient pas évacuées des estrans. Ils doivent ignorer les services qu’elles rendent aux kiteurs et à tous les autres. Voici pourquoi nous devrions nous réjouir de patauger dans les herbes mortes.

Vincent Chanderot dans Kiteboarder #136

Posidonia oceanica est une herbe terrestre retournée à la vie marine qui colonise les fonds méditerranéens jusqu’à une quarantaine de mètres de profondeur et forme de vastes herbiers. Ses feuilles mortes sont emportées par les courants toute l’année, particulièrement pendant l’automne et l’hiver, avant de se déposer en grandes quantités sur les plages par conditions onshore. Ces dépôts sont désagréables : c’est moche, ça pue, c’est plein d’insectes, c’est pénible de marcher dedans et les feuilles humides se collent partout sur la planche ou dans les oreilles. Outre ces quelques petits désagréments, les posidonies remplissent plusieurs rôles fondamentaux et c’est à ce titre qu’elles sont protégées.

Un rôle biologique et un intérêt commercial

Les herbiers de posidonie sont parmi les écosystèmes les plus productifs de la planète. Ce sont des lieux d’oxygénation de l’eau (14 L par jour et m2) et par conséquent de séquestration du CO2 dans la « matte », c’est à dire le sol constitué de sédiments et de son rhizome (les racines). Les herbiers forment l’habitat permanent de plusieurs milliers d’espèces végétales et animales qui les ont choisies comme frayère, nurserie ou pâture. Beaucoup entrent dans la chaîne alimentaire humaine et représentent un intérêt commercial pour la pêche, notamment des crustacés, des céphalopodes et des poissons. Les zones où l’herbier a été détruit ou remplacé par la fameuse caulerpa taxifolia sont très pauvres en termes de biodiversité.

Pour une eau vivante

La posidonie est un bon indicateur de la qualité de l’environnement par sa présence et sa vitalité. De plus elle est capable de dépolluer l’eau grâce à ses grandes capacités à concentrer les métaux. Aussi la présence de feuilles mortes sur la plage devrait être rassurante. Les herbiers contribuent également à la qualité de la baignade en améliorant la transparence de l’eau. Ils favorisent la décantation des sédiments en suspension dans la mer et les piègent dans la matte. Devoir franchir une couche d’herbes mortes peut parfois être la promesse d’une navigation dans des eaux cristallines.

Protection des plages

Les herbiers ont une action importante sur l’hydrodynamisme : ils réduisent considérablement la force des courants et de la houle. Cela permet d’atténuer la remise en suspension des sédiments lors des tempêtes et surtout de protéger le littoral de l’érosion. Les exemples de rétrécissement de plages après régression des herbiers sont nombreux et édifiants. Les banquettes de posidonies mortes sur l’estran, qui peuvent atteindre deux mètres d’épaisseur, contribuent à stabiliser le sable. Elles alimentent la zone tampon de feuilles flottantes, dont la viscosité dissipe l’énergie des vagues, pour diminuer le grignotage des plages voire favoriser leur croissance. Ces gros tas sont pourtant encore aujourd’hui évacués dans certaines communes pour le confort des baigneurs, bien que cela soit théoriquement interdit en France depuis 1988. Des communes, telles que Hyères, ont renoncé précocement à l’enlèvement systématique sur une partie de leurs plages et ont pu les voir s’épaissir. Aujourd’hui il est interdit de déplacer les banquettes, sauf sur certaines plages touristiques, après le mois de mai, à condition de les y remettre ensuite. Elles sont parfois aussi recouvertes de sable en millefeuille.

Posidonies en danger

Comme beaucoup d’autres, la plage de l’Almanarre est menacée en raison d’un déficit d’apports sédimentaires et d’un hydrodynamisme agressif, malgré des ré-ensablements très importants (10 000m3/an). La protection offerte par les posidonies est aussi compromise pour les mêmes raisons : le manque de sédiments peut provoquer un déchaussement des rhizomes et la mort de l’herbier. Au contraire, un excès de sédiments pourrait aboutir au même résultat en ensevelissant et étouffant les plantes. Cette altération de l’équilibre entre sédimentation et croissance est la première cause de régression des herbiers à posidonies et porte bien souvent la signature de l’homme (assèchement des rivières par pompage, multiplication des barrages). La construction de digues ou de ports, outre de modifier les houles et les courants, lève un nuage turbide permanent qui nuit à la photosynthèse et sédimente plus vite que les plantes ne peuvent pousser. La construction du port de la pointe rouge à Marseille, par exemple, a recouvert directement 11 hectares d’herbiers, mais en a aussi détruit indirectement 68 supplémentaires. La croissance des posidonies est si lente que la perte d’un herbier peut être considérée comme irréversible. D’autres inventions humaines agressent et détruisent irrémédiablement les herbiers : les ancres de bateaux, les corps-morts de mouillage et surtout la pêche par chalutage de fond, auquel les droites européenes refusent de s’attaquer. D’autres espèces se joignent à nous pour menacer les posidonies. Les oursins notamment, en raison de la surpêche de leurs prédateurs, ainsi que la Caulerpa taxifolia, l’algue tropicale invasive échappée de l’aquarium de Monaco en 1984. Son excellente adaptation lui a permis de concurrencer très sévèrement les posidonies, générant ainsi de vastes surfaces stériles, avant de commencer à décroître mystérieusement.

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