Pour une progression relax vers l’autonomie
A la sortie de l’école, quand vient la navigation en autonomie, les jeunes kiteurs et kiteuses doivent faire face à un supplément de pression, qui fait parfois y aller à reculons. Le kite est potentiellement dangereux, or il faut maintenant prendre des décisions et assumer ses analyses sans encadrement ni assistance. Pour les jeunes rideurs/euses et pour ceux qui les accompagnent : voici nos conseils pour naviguer plus serein sur la route de l’autonomie.
par Vincent Chanderot dans Kiteboarder #131
I. CHOISIS TON SPOT
Le spot adapté à son niveau est celui permettant de progresser en sécurité sans trop galérer. La peur c’est l’inconnu, alors il faudra aller faire ses armes sur un spot facile et familier. Il doit être suffisamment vaste pour offrir de bonnes marges de sécurité. Apprendre sur un spot trop technique est contre-productif : on y apprend moins vite voire pas du tout et il y a moins de plaisir. Avoir conscience d’être sur un spot exigeant génère aussi du stress inutile. Lorsque par exemple il faut parvenir à franchir une barre sans dériver sous le vent, il y a une pression du résultat. La densité de kites peut générer du danger, du moins un grand sentiment d’insécurité. Néanmoins, la présence d’autres kites permet une surveillance mutuelle, dont tu as besoin pour te rassurer. Si tu as appris uniquement en eau profonde et n’es pas encore à l’aise pour décoller sur la plage, il te faudra absolument faire cet apprentissage, sois donc doublement vigilant sur le choix du spot. Tu peux toujours te faire accompagner par un moniteur pendant quelques heures après le stage, pour bien appréhender le nouveau spot.
II. CHOISIS TES CONDITIONS
Seignosse dans la brise de mer sans houle, ça n’est pas la même que Seignosse pendant une dépression hivernale. Un plan d’eau facile, c’est un facteur clé de réussite pour la progression. Les conditions de navigation des premières sessions devraient être plaisantes pour que l’apprentissage ne devienne pas une corvée. Accumule de l’expérience dans un premier temps sur un plan d’eau plutôt plat. Même lorsque les conditions ne sont pas dantesques, les creux au large peuvent impressionner, le shore break au bord aussi. Les vagues peuvent transformer ta session en galère, donc regarde aussi les prévisions de houle.
Opte pour une orientation du vent sécurisante. En Side-On ou Side-shore le départ est facile, mais tu peux dériver sous le vent. Par vent Onshore, il faudra savoir caper pour s’éloigner du bord, mais en cas de soucis tu seras vite rentré. Le vent offshore porte au large et en cas de pépin ça devient dangereux, d’autant plus que les vents de terre sont la plupart du temps très rafaleux avec des grosses molles. Cette orientation est à proscrire au début sans un dispositif de sécurité. Tu verras sûrement parfois certains kiteurs naviguer dans ces conditions (et de façon systématique dans la tramontane). Ne cherche pas encore à les imiter. Renseigne-toi sur l’heure de marée, elle a une influence sur le plan d’eau et le shore break : C’est en général plus plat à marée basse.
III. CHOISIS TON MATOS
Utiliser du matos adapté à son niveau et au plan d’eau sonne comme une évidence, pourtant as-tu le choix ? Si tu n’as qu’une seule aile, naviguer sous-toilé n’est pas un gage de sécurité, au contraire, elle pourrait avoir tendance à tomber beaucoup ou du mois à te faire descendre irrémédiablement sous-le-vent. La taille de la voile est évidemment importante pour naviguer tranquille, mais ce n’est pas forcément à celle inscrite sur les voiles en train de naviguer qu’il faut se fier : non seulement elles dépendent du poids du rider en dessous, du volume de sa board et de son programme de navigation, mais certaines auront aussi une plage d’utilisation beaucoup plus vaste que la tienne. Dans un premier temps essaie de comparer ce qui est comparable, le temps d’acquérir tes repères, relève le vent à l’anémo, et bien entendu, prends conseil sur la plage.
Tu as peut-être acheté ta première voile ou board d’occasion surtout parce qu’elle semblait être une bonne affaire. Si la plupart des ailes sont aussi accessibles aux débutants, certaines sont néanmoins un peu trop vives, puissantes, difficiles à redécoller ou dotées de beaucoup de réglages incompatibles avec ce niveau. Les ailes les plus évolutives ont un très bon depower, ce sont les allround et les wave-foil. Les ailes typées freestyle sont moins accessibles et maintenant, il faut aussi tenir compte des matériaux, car certaines ailes deviennent très réactives grâce aux tissus ultra-PE comme l’Aluula, mais il est peu probable que tu en ais trouvé une dans un vide grenier. C’est surtout la board qui pourra être beaucoup trop petite. Veille à ce que ce ne soit pas le cas pour ton premier achat. Il n’y a pas plus contre-productif que d’apprendre un sport de glisse avec du matériel trop technique pour soi. Choisir du matos un peu plus technique en prévision de l’avenir te fera perdre du temps car tu progresseras moins vite, voire pas du tout et tu finiras démotivé. Il faut le choisir en fonction de son niveau du moment et pas de celui qu’on compte atteindre.
IV. CHOISIS TES AMIS
Pouvoir bien s’entourer, notamment tant que ton analyse n’est pas encore au top, est bien utile, en plus d’être sympa. C’est ce qui est difficile au début : on n’est pas toujours très sûr de soi, mais on ne connait pas encore les gens. Les meilleurs compagnons de kite sont ceux en lesquels on peut avoir confiance. Il te faudra trouver ceux dont les connaissances de la météo ou du spot pourront combler tes lacunes. Les copains rencontrés en école ont rarement plus d’expérience que toi mais peuvent créer une émulation. Certains prennent une sorte de leadership, mais ça ne signifie pas que leur analyse est bonne : ils peuvent juste avoir une plus grande gueule. On rencontre facilement des anciens en kite, d’abord en saluant tout le monde en arrivant, en donnant un coup de main pour décoller, et aussi en allant poser quelques questions. Avoir quelques bières dans la glacière ne peut pas faire de mal non plus. Et bien sûr il y a les clubs, qui sont faits aussi pour accueillir les jeunes, dont beaucoup possèdent des « leaders » dévoués à cette mission d’accompagnement.
La plupart des spots ont maintenant leur groupe Telegram ou Wattsapp pour se refiler les infos. Ne t’endors pas sur eux pour l’analyse météo, fais aussi tes observations, ça fait partie de la progression et de la prise de confiance, parce que sur l’eau, tu seras seul.
V. CONNAIS BIEN TON KITE
Pour ta sérénité, comprends bien que tu n’es pas prisonnier de l’aile. Pour cela, le B-à-Ba est de savoir larguer son kite les yeux fermés dans toutes les positions, de bien comprendre comment les deux largueurs fonctionnent et dans quels cas les utiliser. Fais souvent des « poignées témoin » dans l’eau, sur l’eau et sous l’eau pour simuler des largages, ça rentrera dans ton cerveau comme un automatisme. Déclenche aussi de temps en temps après avoir posé pour entretenir le système et t’entraîner à le réenclencher.
Si la puissance de ton kite t’impressionne toujours, explore sa sécurité passive en lâchant la barre pour observer la disparition de la traction, apprends à bien jouer sur le trim. On est maintenant très loin des premières quatre-lignes !
Continue éventuellement les exercices d’école, la nage tractée, le pilotage sur la plage si l’espace est sécurisé. Les ailes se pilotent en douceur et en fluidité, il faut apprendre à écouter les informations qu’elles communiquent, les choquer au maximum, les laisser voler sans se crisper…
VI. DETENDS-TOI
Ça n’est pas intrinsèquement le vent, la mer, le kite, les autres qui créent du stress. C’est une chimie dans ton cerveau, aussi tu peux agir très efficacement dessus avec quelques conseils de notre préparatrice mentale Marine Descols. Veille d’abord à te trouver dans de bonnes dispositions pour un bon apprentissage, donc à te sentir en forme physique et morale. Aie des exigences en rapport avec tes capacités du moment. Inutile de se mettre une pression de malade pour performer comme un athlète quand on débute. Sois tolérant, si tu n’as plus fait de sport depuis longtemps, si t’es épuisé par le taf, si tu as peur de l’état de la mer, tu ne performeras pas pareil. Si tu as tendance à stresser un peu, trouve-toi une routine, un rituel d’échauffement : ça calme, permet de se recentrer, conditionne son esprit à l’apprentissage. On parle d’ancrage, trouve à ce propos le dossier sur les outils du mental dans KBR127. Il peut s’agir de juste nager un peu, ou de méditer quelques instants. Tu peux encore utiliser la respiration « parasympathique » en expirant longuement et doucement pour évacuer la pression. La cohérence cardiaque est aussi une méthode anti-stress qui peut s’utiliser en permanence, il s’agit d’inspirer et expirer de façon contrôlée et égale (4-5 secondes).
Que se passera-t-il si ça part en sucette ? Cette inconnue génère du stress, aussi tu peux faire une exploration mentale pour préprogrammer tes réactions. Il ne s’agit pas du tout d’envisager le pire, mais de visualiser les réponses que tu apporteras dans les scénarios qui te font flipper. Par exemple s’il devait y avoir emmêlage, si tu devais dériver dans les cailloux, ou affronter un grain… que ferais-tu ? En plus, chaque visualisation est perçue par le cerveau comme une expérience vécue, donc tu prends en même temps de la bouteille.
VII. AGIS AVEC METHODE
Notamment pour la préparation du matos, la connexion des lignes, le décollage et l’atterrissage : Ces étapes exigent de la rigueur, et pas de l’improvisation. Utilise des méthodes connues, suis tes procédures et si tu veux changer ta technique, vérifie à deux fois. Alors tu seras serein. Rester concentré sur ces phases importantes implique aussi de ne pas se laisser distraire par les copains ou une jolie passante en bikini. Sur l’eau, essaie de suivre un objectif de progression que tu t’es fixé, par exemple parvenir à caper, maîtriser ta vitesse ou ne pas paniquer à l’approche d’un autre kite. Agir avec méthode pour l’apprentissage des manœuvres, c’est bien entendu assurer les fondamentaux et ne pas griller les étapes. Par exemple pour envisager d’enlever le casque, il faut d’abord pouvoir se dispenser de leash, donc savoir caper en nage tractée. Quand c’est trop compliqué, que tu parviennes à identifier tes problèmes ou au contraire que tu n’y parviennes pas, tu peux toujours retourner voir une école ponctuellement.
VIII. TIENS TON RANG ET SENS-TOI A TA PLACE
Lors des croisements, les autres riders s’attendent à ce que tu respectes les priorités, mais aussi à ce que tu prennes les tiennes, sinon il y a de la confusion et c’est la pagaille. On a besoin de comprendre clairement ce que font les autres sur l’eau, de se faire confiance. Tu n’es pas obligé de faire demi-tour dès que tu vois qu’un rider va croiser ta route. Fais-le s’il est tribord amures, mais pas parce qu’il a l’air très fort !
On a le droit d’être en apprentissage, on a le droit de ne pas être un cador, tu as le droit d’être là. Il ne faut pas en avoir honte ou se cacher, tout le monde est passé par ce stade. Néanmoins il peut être judicieux de choisir son petit coin plus tranquille, ou un peu au large, à l’écart des zones d’envoyade, et tant pis (ou plutôt tant mieux) si maman ne pourra pas te mettre sur instagram. Ne sois pas trop sensible à la critique, même si elle te semble dure ou déplacée : ça n’est en général pas à ta personne qu’elle s’adresse, mais à ta situation provisoire d’apprenti. Si tu te fais engueuler sur l’eau, c’est le plus souvent pour que tu puisses apprendre un truc !
IX. PRENDS TON TEMPS
Inutile de te précipiter dans les vagues ou de sauter alors que tu ne sais pas cranter, parce que tout le monde le fait. Il faut se donner le temps d’apprendre et de maîtriser les codes. Disposer de bons fondamentaux, c’est rassurant, c’est important et ça évite de trimballer de mauvaises habitudes. En école, le casque et le gilet sont obligatoires, non pas pour être repérés de loin, mais pour te protéger. Après l’école on fait comme on veut, pourtant on est probablement plus exposés. Pourquoi ne pas garder le casque et la flottaison ou l’impact vest ? Ils peuvent rassurer, protéger du froid aussi et on n’a pas forcément l’air idiot avec, d’ailleurs beaucoup y sont revenus depuis le foil ou dans les vagues. Inutile aussi de tout plaquer dès que tu vois une feuille frémir sur son arbre : attends que toutes les conditions soient réunies pour te permettre une bonne nave. Une bonne météo, un bon esprit, une bonne forme. On a toute la vie devant nous et il faut aussi savoir passer son tour. Quand il y a des kites à l’eau, ça n’est pas parce que c’est bon pour eux, que ça l’est aussi pour toi.
X. SOIS CURIEUX
Plus tu accumuleras de connaissances, plus tu pourras te sentir à l’aise. En fait cela dépend beaucoup des individus. Certains deviennent très à l’aise en suivant leur instinct et en défrichant, sans pouvoir expliquer les choses. D’autres ont besoin de comprendre comment et pourquoi les choses fonctionnent, de faire tourner leur imaginaire, de poser plein de questions. Bouquiner, regarder des vidéos, discuter avec les vieux pour engranger des connaissances, ça fait partie de la progression et de l’acquisition de l’autonomie. Prendre le temps de se poser pour observer les riders, mais aussi les nuages, les vagues, les courants avant de se précipiter à l’eau. Comprendre comment déroulent les vagues, comment naviguent les autres, où ils se placent, est riche en enseignements et permet de rentrer progressivement et plus détendu dans sa session.