Les naufragés qui débarquent sur nos spots ont leurs terres promises ! Des plaques de déchets grandes comme des continents ont été découvertes dans chacun des océans et rien, en particulier l’explosion de la consommation et le changement climatique ne semble pouvoir les arrêter.
Vincent Chanderot dans WIND mag
On les appelle Gyres océaniques. La première et la plus importante, couvrant six fois la surface de la France, a été décrite en 1997 par le navigateur Charles Moore lors d’un convoyage entre Hawaï et la Californie : « Jour après jour, je ne voyais pas de dauphins, pas de baleines, pas de poissons, je ne voyais que du plastique ». La Great Pacific Garbadge Patch, comme les gyres de l’Atlantique ou de l’océan indien, formée d’une accumulation de déchets et de débris, se situe dans une zone de hautes pressions où les vents sont faibles et les courants s’enroulent en tourbillons géants sans issue. A l’inverse des anneaux de saturne, les plaques sont peu visibles car, quoique excessivement nombreux, les petits débris (moins de 1cm) qui les composent flottent entre deux eaux. Les scientifiques en ont compté jusqu’à 1 milliard par km2 avec des masses de plastiques parfois 6 fois supérieures à celle du plancton ! Ces gyres monstrueuses ne constituent pourtant que la partie émergée de l’iceberg car beaucoup de déchets coulent et tapissent le fond, perturbant ainsi les échanges sédiments-océan. Les comptages de l’Ifremer révèlent jusqu’à 1 500 débris par Ha (2 terrains de foot) dans le fond de certains canyons proches de la côte d’azur. En Méditerranée, ce ne sont pas des gyres permanentes, mais des tourbillons ponctuels qui prennent en charge les quantités phénoménales de détritus balancés par les riverains.
Société jetable
Les déchets que nous côtoyons sur les spots comme épluchures beach ne sont que les traces visibles infinitésimales de l’empreinte humaine sur les océans. Les stigmates infligés aux plages par les plastiques (80%) soutiennent cette aberration : la société consomme ce matériau extraordinaire dont l’espérance de vie dépasse la notre pour un usage éphémère.
Selon le PNUE, 80% des échouats sur les plages sont jetés sur les continents et se retrouvent dans la mer, charriés par les vents, les pluies puis les rivières. Ce sont bien sûr les décharges sauvages et les objets abandonnés négligemment à terre qui souillent préférentiellement les spots. Les fortes pluies, qui prennent de l’ampleur avec le changement climatique, ratissent tout ce qui traine et saturent les réseaux d’assainissement contraints de relarguer des eaux non traitées dans les rivières. Selon des associations, un mégot jeté dans le caniveau a de fortes chances de se retrouver à terme, via les réseaux pluviaux, dans l’océan ou sur une plage, souillant au passage l’eau de ses produits chimiques.
Pour une navigation plaisir
Outre le sentiment désagréable de naviguer dans une poubelle, toutes ces ordures exposent à un risque environnemental. Les débris accumulent des polluants organiques et des bactéries pathogènes qui peuvent être ingérés par la faune marine puis éventuellement par l’homme : DDT, PCB, phtalates, métaux lourds… Le risque mortel est avéré pour au moins 267 espèces au sein desquels on a retrouvé de nombreux déchets dans les cadavres. Tout le monde sait que les tortues risquent l’asphyxie en confondant les sacs plastiques avec les méduses dont elles se délectent. Comme les oiseaux, elles sont souvent incapables de différencier les déchets de la nourriture. Les autopsies, pratiquées sur les albatros du grand large sont stupéfiantes : les estomacs saturés de brosses à dents, flotteurs, balles de golf, mégots, morceaux de filets ou larmes de sirènes conduisent à des blessures, infections, empoisonnements, étouffements ou morts de famine faute de place.
Les déchets dérivants permettent aussi à des espèces invasives telle l’araignée d’eau Halobates sericeus ou des souches bactériennes de conquérir de nouveaux territoires.
A la pêche aux idées reçues
Les déchets se dégradent plus rapidement dans l’eau de mer? Il semblerait à contrario que les plastiques, dont 10% des 300 millions de tonnes produits chaque année finissent dans les océans, soient un peu protégés des UV et de la chaleur par l’eau. Les plastiques dans les gyres sont à terme dégradés en fragments minuscules, ce qui favorise leur flottaison, leur ingestion et compromet de pouvoir les récupérer un jour si quelqu’un en a la volonté.
Pensez-y la prochaine fois que vous serez tenté d’abandonner un mégot ou un paquet de chips après la session. En une année, 400 à 4000 kg de déchets s’échouent sur chaque kilomètre du littoral Français. La plupart des plages sont nettoyées à grands frais à la santé du contribuable au bulldozer, qui ne distingue bien entendu pas les déchets humains de la laisse de mer indispensable à l’écosystème littoral et à la protection contre l’érosion. Pour éviter l’aseptie et l’érosion, il faudrait procéder à un ramassage sélectif comme lors des initiatives océanes, mais sans s’attaquer à la source de cette pollution, ce travail fastidieux reviendra toujours à vider l’océan à la petite cuiller.
La non prise en compte des déchets dans la détermination de la qualité des eaux de baignade n’encourage probablement pas les collectivités à prendre le taureau par les cornes pour éradiquer les 6000 décharges sauvages persistantes et améliorer le faible taux de recyclage du plastique que nous surconsommons (25%, ADEME).
Abandonner sur les spots des déchets que l’on pense biodégradables, c’est oublier que le processus n’est pas instantané. Les autres planchistes profiteront du spectacle réjouissant de votre papier toilette pendant 3 mois, de votre trognon de pomme 1 à 6 mois, d’un vieux chewing-gum 5 ans, d’une poche plastique 450 ans, d’une canette jusqu’à 500 ans, d’une bouteille plastique 1000 ans et 4000 si elle est en verre.