Les ramassages sur les plages : comme des bouteilles à la mer

Avez-vous déjà rejoint ces movements sympathiques de ramassages de déchets sur votre spot ? Ils sont de plus en plus nombreux et leurs initiateurs débordent d’efforts afin d’en faire une véritable fête. Ces actions signent la volonté des citoyens de prendre en mains la salubrité de leurs plages. Un instant de convivialité entre utilisateurs de spots qui permet parfois aussi de tutoyer les champions, qui s’y prêtent avec enthousiasme en parallèle des plus grosses compètes. A quoi cela sert-t-il vraiment ? Vincent Chanderot avec Marine St-Macquary dans WIND mag

Le World Clean Up Day 2022 a rassemblé 8,5 millions de personnes dans 190 pays. Cette mobilisation, dont l’ampleur croit chaque année démontre l’engouement suscité par les opérations de nettoyage de plage. Munis de gants et de sacs, petits et grands se lancent dans une chasse aux macrodéchets, qui se termine le plus souvent par un bilan effarant : En mars, une poignée de bénévoles de l’association The Sea Cleaners a ramassé 367kg de déchets dans la baie du mont Saint-Michel, site pourtant classé au patrimoine mondial de l’Unesco. Ces évènements permettent des rencontres entre associations, clubs de sport, collectivités locales, citoyens et entreprises qui échangent sur la problématique de cette pollution omniprésente. Certains y voient un aspect curatif, d’autres préventif ou simplement un moment convivial. Des passants, curieux, voire même des sceptiques se joignent à la fête. Sébastien Mesplède, waterman landais était de ceux-là et raconte son premier ramassage : « Je les ai pris de mes mains ces plastiques, j’ai vu de mes yeux ces 95kg ramassés ce jour-là et j’ai pris conscience, comme une claque, de la gravité de la situation. Depuis, je ramasse ce que je vois par terre, en particulier après chaque session. »

Un héritage invisible et empoisoné

Dans les pays qui en ont les moyens, les plastiques visibles sont souvent ramassés par les cribleuses qui rendent les plages plus « esthétiques » mais anéantissent la laisse de mer, sa faune et son action protectrice sur la plage. Selon Yann Lalane, enseignant de l’université de Pau-Pays de l’Adour, ce n’est pas la présence de macroplastiques, visibles, qui est la plus préoccupante : « On n’en vois pas plus qu’il y a dix ans». Le véritable fléau, c’est que ces macroplastiques se désagrègent pour former des microplastiques et pas uniquement au centre du septième continent. Il a pu le constater en plongée à quelques encablures de Biarritz « on a parfois un brouillard de 1m50 d’épaisseur constitué entièrement de microplastiques ».

En se fractionnant, ces déchets libèrent des micropolluants. Ils peuvent se combiner les uns aux autres et aboutir à des composés plus toxiques encore que les molécules mères. Les organismes marins, déjà grandement impactés par les macrodéchets (pensons aux milliers de tortues étouffées par les sacs plastique ou coincées dans les filets de pêche fantômes) ingèrent en continu ces composés toxiques invisibles à l’œil nu.

Jusque dans le sang

Ils s’accumulent dans la chair des poissons que nous retrouvons ensuite dans notre assiette. Un humain pourrait ingérer jusqu’à 5 grammes de plastiques chaque semaine. Une étude vient même de révéler la présence de plastique dans le sang de la majorité de ses sujets. Ceux-ci augmentent les risques chez de cancers, stérilité, asthme et trouble du développement de l’embryon. La boucle est bouclée.

Ce brouillard épais de pollution constitue un bouillon de culture pour des microorganismes marins. Il se reproduisent à outrance et sont transportés dans des zones où ils ne sont pas censés se trouver. Ces êtres vivants invasifs prennent la place d’autres et perturbent les équilibres fragiles des écosystèmes. Le plastique, conçu à l’origine pour être un matériau endurant est trop souvent réduit à un usage unique qui aura permis de contaminer l’ensemble de la planète.

Des ramassages, mais bien plus encore

Chaque minute, 17 tonnes de plastique (l’équivalent d’un camion poubelle) se déversent dans l’océan. Alors est-ce bien utile de retirer les plastiques des plages quand on sait qu’ils reviendront dès la marée suivante ?

Les ramassages à eux seuls, n’ont pas d’impact réellement observable sinon cosmétique. Ils ont lieu en général sur des plages emblématiques et font l’impasse sur les bassins versants. Cependant, vider l’océan de plastique à la petite cuillère… c’est le vider quand-même. C’est toujours ça que l’océan ne reprendra pas. Les ramassages portent avant tout leurs fruits sur l’inconscient individuel et collectif. Créer un réflexe du ramassage, ouvrir les yeux sur la destinée du plastique, sur ses volumes colossaux. Réaliser, vu tout ce qu’on voit, que le déchet qui ne souillera est celui qu’on ne produira pas. Ces opérations sont des bouteilles à la mer porteuses d’un message fort aux gouvernants : en mouillant le maillot les citoyens s’emparent d’un sujet et disent explicitement qu’ils désirent des plages propres et vivantes. Ils renvoient enfin peut-être aussi ceux qui y sont indifférents à leurs responsabilités : « nous prenons sur nous de ramasser vos déchets, le chacun pour soi a fait son temps ».

A pied et en bateau

Ces initiatives sont souvent locales, néanmoins certains mènent leur combat sur plusieurs fronts : Surfrider qui mène des actions de lobbying auprès des décideurs publiques, TEO, qui déploie des bacs à marée et œuvre à la décontamination. Plusieurs, mêlent responsabilité et utopie avec des projets de captage offshore de grande envergure : les filets géants de Ocean Cleanup ou le voilier « Manta » de l’ONG Sea Cleaner. Ce catamaran de 52m collectera les plastiques dès 2024 pour les convertir par pyrolyse (chauffage haute température sans oxygène) en un carburant qui assurera l’alimentation énergétique du bateau. Il embarquera des équipes scientifiques et de sensibilisation et commencera par des zones les plus touchées par ce fléau comme l’Indonésie, où les filières de recyclage sont quasi-inexistantes. Il véhicule aussi deux petits bateaux satellites pour nettoyer les zones difficiles d’accès. L’un d’entre eux est déjà en action sur les côtes Indonésiennes avec une ONG locale.

Un combat de longue haleine

Les associations ne se targuent pas de résoudre ce problème mondial à elles seules au travers de ces projets. Elles tentent de fédérer autour de cette lutte un maximum de citoyens et de dirigeants à travers le monde. En effet, ramasser et recycler le plastique ne peut pas être la solution. Il faut agir à la racine.Depuis 1950, on estime la production mondiale de plastique à 10 milliards de tonnes. D’ici 2050, celle-ci pourrait doubler. Aujourd’hui, 40% de la pollution est issue d’emballages alimentaires qui sont directement jetés. La consommation de plastiques à usage unique doit cesser pour revenir à la qualité première de ce matériau : sa solidité. Certains pays dont le Bangladesh, le Rwanda ou le Kenya sont déjà passés à l’action en interdisant les emballages plastiques éphémères. La France a interdit en 2021 la vente de certains produits jetables tels que les coton-tiges, les couverts ou les pailles, mais ne vise leur suppression complète qu’en 2040. Nombreux sont les autres facteurs de pollution que nous pourrions limiter : les stations d’épuration qui ne stoppent pas les microplastique (<100 mm), les lave-linges sans filtre qui laissent s’échapper à chaque lavage des millions de fibres plastiques issues des textiles synthétiques…

En attendant que des législations entrent en vigueur, nous ne pouvons pas rester inactifs. Quand bien même la pertinence des actions menées par les associations serait discutable, elles sont toujours plus efficaces qu’un long discours. Si cela semble utopique de penser que la situation pourrait changer, il parait encore plus fou de rester là les bras croisés.

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