Les vagues de chaleur marines (Marine Heat Waves, MHW) déferlent toujours plus fréquentes, intenses et longues, comme la méditerranée en a fait l’expérience cet été. Alter ego des canicules, mais dans l’eau, elles asphyxient la vie aquatique. Ces épisodes affectent toute la planète, été comme hiver. Ils ravissent les baigneurs mais forment les prémices d’un bouleversement des écosystèmes.
Par Vincent Chanderot 2021 dans Wind et Kiteboarder 131
Par grosse canicule, on se cale à l’ombre, on va à la plage. Mais quand la canicule affecte l’eau de mer et qu’on est une gorgone, un concombre ou même un alvin, c’est beaucoup plus compliqué. Avec la chaleur qui se faufile partout et des capacités migratoires nulles ou limitées, il faut subir. Tenter de résister à la chaleur extrême pendant ces cinq journées voire beaucoup plus. Un des nombreux problèmes que doivent affronter les petits habitants des spots, est que ces jours caniculaires augmentent à un rythme effréné. Des études publiées dans le journal de référence Nature révèlent que les canicules marines ont doublé entre 1982 et 2016 en lien certain avec le changement climatique et ça n’est que le début. D’après les auteurs, un climat à +3,5°C vers lequel nous nous précipitons les verrait augmenter d’un facteur… 41 (quarante et un)!! Autant dire que ces températures extrêmes, passant de rares à habituelles (elles survenaient statistiquement 3 jours par an hier, mais 1 jour sur 3 demain) modifieront radicalement tous les écosystèmes.
Un effet délétère sur les chaines alimentaires et la diversité
En soumettant longuement les espèces à leurs limites, elles finissent par mourir. Les populations de poissons peuvent migrer d’environ 70km par décennie quand c’est possible, mais pour les sédentaires, point de salut. On évoque beaucoup des coraux, dont on pense qu’ils sont condamnés dans la plupart des mers du globe. Il suffit chez certaines espèces tropicales que la température atteigne 30° pour que soit expulsée l’algue unicellulaire symbiotique qui leur fournit des nutriments issus de la photosynthèse. Le blanchiment qui s’ensuit est momentanément réversible, mais le corail affaibli aura besoin de temps pour se régénérer. Or la répétition des canicules condamne toute possibilité de résilience et aujourd’hui 95% des massifs de la grande barrière australienne sont plus ou moins blanchis. Cet été, il semblerait que la canicule marine marseillaise ait totalement anéanti des colonies entières des fabuleuses gorgones pourpres, notamment aux abords de l’ile de Riou.
Comme El Niño, un phénomène naturel exacerbé par nous
L’oscillation australe El Niño, tend à augmenter en fréquence et en intensité avec le changement climatique. La phase chaude peut être assimilée à une canicule marine et renforce ces mêmes phénomènes autour du Pacifique et de l’Indien, mais les MHW n’ont pas besoin d’elle pour sévir. La phase froide La Niña a accompagné aussi des canicules marines ravageuses par exemple à l’ouest de l’Australie. Le Niño de 2015/16 dit Bruce Lee, tellement il était costaud, a provoqué dans les Maldives et la grande barrière un des pires épisodes de blanchiment corallien jamais observé et qui s’est répété l’année suivante pourtant non-El Niño. Les grands herbiers et les forêts d’algues laminaires sont moins médiatiques, ils subissent toutefois aussi des dégâts très importants lors des MHV. C’est d’autant plus problématique qu’ils forment tout comme le corail des milieux d’importance majeur pour la croissance des poissons, des mammifères, l’oxygénation de l’eau et la fixation des sédiments.
The Blob
Un épisode caniculaire nommé The Blob a laissé des traces dans les annales américaines. De 2013 jusqu’à 2015, l’eau du golfe d’Alaska a flirté avec des anomalies de température de +2,5°C à +6°. Des millions de poissons ont disparu, ruinant la pêche locale, et les plages ont charrié des centaines de milliers de cadavres d’oiseaux marins. Le plancton à la base de la chaine trophique s’est raréfié, les alvins n’ont pas pu grandir correctement. Les poissons morts ou partis, les oiseaux furent affamés, tandis que certaines espèces de planctons toxiques proliférèrent dans les niches libérées, décimant quantité de loutres, otaries et baleines au passage.
La canicule méditerranéenne de 2003 a généré une mortalité importante sur les coraux, gorgones et herbiers de posidonies. Les MHV s’y répètent et cet été dernier fut particulièrement critique, avec une eau dépassant parfois les 30°. Mare nostrum se tropicalise à petit feu et offre des conditions favorables à des espèces qui ont franchi le canal de Suez : on rencontre maintenant barracudas, raies pastenagues et dorades coryphènes au large de Nice. Plus inquiétant, des espèces très invasives prolifèrent, telle la rascasse volante (une plaie aux Antilles et en Afrique) ou encore le poisson-lapin. Cette sorte de poisson-perroquet à moitié jaune découverte il y a 10 ans à Carro se multiplie depuis évidemment comme des lapins en ravageant les algues cystoseires et les herbiers de posidonie.
Vents et courants
Les canicules marines de l’été dernier ont encore frisé des records sur nos littoraux, avec notamment 20° sur la côte d’Opale et 30°C à en Corse en raison de fortes chaleurs et des vents faibles, qui n’ont pas pu brasser les eaux ni générer d’upwelling. Pétole, absence de pluies, forte insolation, littoral en cul de sac, diminution des débits des rivières sont des éléments aggravants pour la température des eaux de surface, d’autant plus qu’ils influent sur les courants, modifiés par la température. Une eau qui tourne en rond dans un golfe surchauffé tend à se réchauffer plus que la normale. Lorsque la température de l’eau devient caniculaire, le gradient de température entre l’eau et la terre diminue : c’est une des pompes de la brise de mer qui s’affaiblit voire disparaît. Par contre une eau très chaude peut alimenter abondamment et rapidement les nuages d’orage, susceptibles d’abattre des pluies dévastatrices sur l’arrière-pays.
Cool man
En général correctement équipés nous devrions être indifférents au meilleur confort de baignade fourni par quelques degrés supplémentaires au coeur de l’été (et encore… avez-vous déjà « apprécié » une baignade à plus de 30° dans le golfe persique?). Par contre nous avons tout à perdre d’un réchauffement chronique de l’eau des spots, parce qu’elle sera plus haute, plus trouble, moins vivante et abritera potentiellement plus d’organismes pathogènes ou dangereux. Nous évoquions récemment l’impact délétère du réchauffement climatique sur les vents synoptiques et voici qu’il affecte également la méso-échelle par le biais des canicules marines. Vous devriez encore pouvoir pisser dans l’eau sans bouleverser la température des océans, mais il y a beaucoup de choses que nous pouvons ne plus faire pour contribuer à stopper le mouvement.