L’Affaire des boues rouges : la méditerranée poubelle institutionnalisée

Voilà cinquante ans que l’usine d’alumine de Gardanne déverse avec la bénédiction de l’état des boues rouges chargées de résidus toxiques dans le nouveau parc national des Calanques. Contrainte par la convention de Barcelone pour la protection de la méditerranée de cesser ces rejets, la société Alteo n’a pas mis à profit les vingt années dont elle disposait pour y mettre un terme. Manuel Valls a imposé une prolongation de l’autorisation de difflution d’eaux chargées de métaux lourds à proximité des spots de La Ciotat, Cassis et Marseille pour six années, provoquant l’ire des pêcheurs, des utilisateurs de la mer et des amis de la nature. V. Chanderot, WIND 2016

Les pêcheurs des Calanques de Cassis sont habitués à remonter des filets teintés de rouge et des poissons chargés de métaux lourds. Ce forfait a été dénoncé dès les années soixante, lorsque les décharges dans lesquelles Pechiney stockait ses boues rouges arrivèrent à saturation et qu’il les déversa en mer dans de canyon de Cassidaigne. Cette vallée distante de 7km et profonde de 320m avait pourtant rapidement rendu à la plage de La Ciotat les mines qui y avaient été immergées lors du déminage en 1946.

En cinquante ans, près de trente millions de tonnes de boues ont été répandues. Aluminium, fer, arsenic, uranium 238, thorium 232, mercure, cadmium, titane, plomb, chrome, vanadium, nickel et de la soude, furent dispersés par centaines de tonnes quotidiennement dans les boues, dont on retrouve la trace du golfe de Fos à la rade de Toulon, s’ajoutant aux eaux polluées du Rhône.

L’affaire Corse

En 1972, une seconde affaire de boues rouges éclata en Corse, mais fut rapidement réglée. La société Italienne Montedison déversait quotidiennement au large du Cap Corse des milliers de tonnes de boues issues d’une usine de dioxyde de titane. Suite à une forte mobilisation citoyenne et au manque de réactivité des pouvoirs publics, un des bateaux convoyant les boues fut tout simplement plastiqué. Peu de temps après, la société fut condamnée et les rejets cessèrent.

Une longue histoire française

Les déchets de Gardanne, toujours qualifiés par l’usine et non sans ironie, de « rejets inertes » sont les dommages collatéraux de la fabrication des alumines de spécialité. Elles sont utilisées dans les écrans à cristaux liquides de votre prochain téléphone ou téléviseur. Une étude indépendante menée en 1993 par Creocean et dissimulée pendant 20 ans démontrait la toxicité des boues rouges, tandis que l’usine mettait en place un conseil scientifique produisant des analyses déniant leur dangerosité. Aujourd’hui, l’Ifremer affirme que l’implication du mercure et de l’arsenic serait très faible dans la contamination de la chaîne alimentaire dénoncée par les pêcheurs de Marseille à Sanary, mais recommande pourtant encore d’autres études. Les poissons du coin contiennent des métaux lourds, mais cela ne serait malheureusement pas rare en méditerranée. Il semble par contre avéré que la pollution impacte la reproduction de plusieurs espèces et le géographe Olivier Dubuquoy de l’université de Toulon s’inquiète de la recolonisation prochaine du canyon. Flore et faune ont été chassées par les torrents de boues, « de Fos à Toulon, les fonds marins ressemblent à la planète Mars» mais que se passera-t-il avec l’arrêt des rejets, quand elles reviendront vivre dans les sédiments où métaux lourds et radioactivité se sont accumulés et serviront de nourriture aux gros poissons ?

Le déversement de boues rouges interdit depuis le 1er Janvier 2016, il ne subsiste aujourd’hui qu’une fraction des rejets (84 t par an tout de même). Elle cristallise cependant la colère des utilisateurs de la mer, car hyper basique et chargée de métaux lourds, elle dépasse toujours les normes européennes au mépris de la réglementation pour plusieurs paramètres (Aluminium 7900kg par jour (245 fois la norme), Arsenic 34 fois la norme, pH 12,5 etc.)

La complaisance des plus hautes sphères de l’état

En 1995, la ministre de l’environnement Corinne Lepage donnait à l’usine jusqu’au 31 décembre dernier pour faire cesser les déversements en mer. Aujourd’hui elle ne décolère pas car, dit-elle, « ils ont eu 20 ans pour se mettre aux normes ». Alteo est parvenu à imposer sa stratégie, la déshydratation des boues grâce à un système de filtres-presses (financé à hauteur de 15 millions d’euros par des fonds publiques), dont tout le monde devait se douter qu’elle génèrerait un blocage dû aux rejets liquides toxiques. L’entreprise, aux mains d’un fonds d’investissement américain, a usé d’un chantage aux emplois pour que le premier ministre impose le prolongement du droit de polluer pour encore 6 ans. Le tribunal administratif a rejeté au nom de la pérennité de la compagnie le recours des associations et elles misent désormais sur un recours hiérarchique. M. Valls aurait selon elles abusé de son pouvoir en imposant sa volonté au détriment du ministère de l’écologie qui s’était opposé au projet et nous verrons s’il ne s’agissait là que d’une position de façade de la ministre.

Ce micmac laisse transparaître que l’état persiste à souiller le patrimoine naturel de tous au profit de quelques uns et qu’en dépit de beaux discours, la méditerranée demeure une poubelle bien pratique. Malgré la complaisance et les cadeaux (dont une ristourne  sur la redevance de l’eau, réduite de 13 millions à 2, 6 millions d’euros en 2014 grâce au maire de Bouc-Bel-Air), les jours de l’usine de Gardanne sont comptés mais l’héritage qu’elle nous laissera marquera son temps. La méditerranée, mer fragile n’a pas fini de subir les agressions des hommes. A quelques encablures de Cassidaigne, une mobilisation citoyenne a finalement abouti au rejet (contre l’avis du conseil d’état) du permis de recherches d’hydrocarbures «Rhône maritime », mais ce genre de projets fleurissent dorénavant sur 40% des côtes de la mare nostrum.

Danger !

Si le risque auquel s’expose le windsurfer à La Ciotat est difficilement quantifiable dans les eaux souillées, il n’en est pas de même pour l’air et l’eau douce aux alentours du site de Mange-garri à Bouc-Bel-Air. Les boues deshydratées stockées sans grande précaution à l’air libre s’infiltrent dans le sol et se disséminent les jours de mistral, des poussières rouges envahissant les habitations alentours. Selon l’enquête du Monde Diplomatique, 8 des 20 riverains les plus proches souffriraient de cancer, et 5 de problèmes thyroïdiens mais l’ARS locale refuse de s’exprimer sur le sujet… Le plan d’Alteo consiste en la revente de ces boues deshydratées sous l’appellation de Bauxaline, que l’industriel aimerait voir utilisée, malgré sa radioactivité importante (souvenez-vous de l’histoire des « stériles ») pour la construction de route ou de digues. Alteo propose également une application pour le moins cocasse à la Bauxaline : le traitement d’effluents acides contaminés par des métaux !