L’été au pays basque n’est pas des plus venteux. Si c’est plutôt dans le sud des Landes qu’on ira chercher la brise de mer, les spots basques peuvent profiter d’un coup de vent éphémère et puissant. Il s’agit d’une galerne, affublée ici du nom d’Enbata, mais aussi de Brouillarta à partir de St-Jean-de-Luz ou Galerna en espagnol. Par Vincent Chanderot dans KITEBOARDER 131
Lorsque des griffes de stratus déchirent le mont Jaizkivel au-dessus de Hendaye, le signal est amené, sans crier gare, pour des vents dépassant parfois 100km/h. L’entrée maritime brouille la vue sur la digue de l’Artha (« brouille-artha ») qui ferme la baie de St-Jean et débarrasse les plages basques de ses parasols et touristes en quelques instants. Les températures étouffantes s’effondrent en un rien de temps et les kites peuvent enfin se mettre à l’eau. Il ne faut pas rater le phénomène, car il ne dure pas bien longtemps et n’est pas toujours bien prévu. Il se déclenche souvent en fin d’après-midi entre mai et septembre, après une ou deux journées caniculaires très faiblement ventées et de tendance Sud en altitude. L’Enbata commence tout de suite à son maximum, puis perd environ cinq nœuds par heure.
Bulletin météo
Si des pluies et de l’ouest sont annoncées en fin d’une journée très lourde, empiriquement, un Enbata dit « de front » survient souvent, tandis que l’Enbata « typique » associé à un marais barométrique ne provoque que du vent et des brouillards. Il se produit en moyenne cinq Enbata typiques par an, dont un vraiment fort, et trois Enbata frontaux, dont un seul marqué. Le phénomène tend à être mieux prévu qu’à une époque pas si lointaine, où l’on se fiait à l’illusion d’un continent flottant sur l’horizon après deux journées chaudes pour supputer de son apparition. Certains parlent même de fourmis volantes qui sortent juste avant. Néanmoins elle peut encore passer sous les radars des modèles les plus fins et des épisodes exceptionnels peuvent surprendre jusqu’au bassin d’Arcachon. Les Enbata très forts sont associées à une petite dépression vers le Portugal.
Une journée au pays basque
Les entrées maritimes ne sont pas rares au Pays Basque et toutes ne sont évidemment pas des galernes ! Elles apparaissent dans un contexte de temps chaud et calme. Le vent pendant l’après-midi est très faible et de tendance Est au niveau de la mer (Sud en altitude), il n’y a pas trop de brises. Ça ne kite pas avant, d’autant plus que les plages basques interdisent toutes la pratique avant la fin de surveillance de la baignade (du moins par beau temps). On peut suivre la progression de la galerne sur les balises météo de la côte espagnole : un Enbata sera systématiquement détecté à Santander trois heures avant d’atteindre Biarritz. Il peut y avoir un peu de houle, mais le contexte de marais barométrique est souvent associé à un calme relatif. Lorsqu’arrive l’Enbata, elle lève une mer du vent, mais limitée, car le fetch aura été assez bref. Néanmoins un épisode exceptionnellement fort à plus de 50 kts peut lever une grosse mer hachée.
Légende de pêcheurs
Trainez au port d’Hendaye ou de Fontarrabie à la rencontre des vieux pêcheurs du dimanche, certains vous parleront d’une apocalypse que la plupart n’ont jamais vécu. Toutefois la côte est hostile et bénéficie de peu d’abris. Si dans ce recoin du golfe de Gascogne on connaît les mers formées en hiver, l’enbata joue de l’effet de surprise puisqu’elle déboule par temps calme. C’est ce qui construira la légende de ce vent capricieux, notamment dans les provinces espagnoles de Guipuzkoa et Bizkaye. Les villages sont encore marqués par la galerne précoce et ravageuse du 20 avril 1878 qui emporta la vie de 322 pêcheurs et par celle du 12 août 1912, durant laquelle 143 hommes pressés par les fêtes au village, sombrèrent corps et biens.
Une vraie galerne
Une galerne n’a rien à voir avec La Galerne (le gwalarn breton). C’est le nom générique d’un vent caractérisé par une bascule et un fraîchissement brutaux du vent, la chute instantanée de la température (de 10-15°C), l’augmentation de la pression et de l’humidité et enfin par des brumes. C’est un type de vent que l’on peut rencontrer à de nombreux endroits sur Terre : en Argentine (le Pampero), en Afrique du sud ou sur les côtes pacifiques de l’Australie et des USA. On parle là-bas de « Alongshore surges » ou plus généralement de « coastal-trapped disturbances ». Cela peut se traduire par une « perturbation générée par un blocage de la côte », comme chez nous
Effet de côte
L’Enbata est un courant dit de densité, voyant déferler un air frais et humide (lourd) vers les basses pressions du Pays Basque et du Béarn. La forte insolation y crée une dépression thermique que vient renforcer le foehn. En effet, ce vent de secteur sud en altitude est contraint par les Pyrénées de s’élever et cela creuse encore la dépression sous le vent du massif. La masse d’air maritime située à l’ouest est toute indiquée pour combler cette dépression, cependant elle ne pourra rejoindre le pays basque normalement. Sur une échelle de plusieurs centaines de kilomètres, les vents tournent sur leur droite (dans l’hémisphère nord) sous l’effet de la force de Coriolis. Or ici, les monts Cantabriques, qui longent la côte nord-espagnole, bloquent la déviation du vent d’ouest vers le sud. En empêchant la force de Coriolis de s’exercer, les forces liées au gradient de pression ne peuvent pas s’équilibrer, ce qui se traduit par une accélération. La masse d’air est contrainte de s’échapper perpendiculairement aux isobares pour se dissiper dans l’arrière-pays béarnais alors que vous le savez peut-être, le vent circule normalement toujours à peu près parallèlement aux isobares !
Entre les lignes
Ce genre de situation avec un relief important perpendiculaire aux isobares et placé sur la droite du gradient de vent se retrouve aussi… en vallée du Rhône pour le Mistral. Le Massif Central empêche au vent de tourner vers l’ouest, comme il le ferait en atmosphère libre, ce qui provoque son accélération tout le long du couloir rhodanien, mais c’est une autre histoire
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