Les courants d’arrachement, dont le plus fameux est peut-être celui de baïne, constituent de grands dangers pour les baigneurs. En surf et windsurf en revanche, ce sont des ascenseurs providentiels pour le large qui facilitent beaucoup le franchissement des barres de vagues. Le courant de baïne est un phénomène très fréquent dans le monde entier, dont nous allons décortiquer les secrets, comme ceux des autres courants pouvant mener au large.
Par Vincent Chanderot, 2020, dans KITEBOARDER et WIND
Les courant de baïnes landaises sont tellement fameux qu’on utilise volontiers ce terme gascon pour décrire tous les « courants d’arrachement contrôlés par la morphologie locale du fond ». Quoique présent sur la grande majorité des littoraux sableux du monde, chaque système barre-baïne est unique avec comme point commun d’être associé à des courants intenses, étroits de portée limitée vers le large et générés par les vagues. Les grandes bâches d’eau des plages de la Manche, par exemple, relève d’un autre mécanisme : elles ne génèrent un léger courant sortant que lorsque la mer se retire. C’est un phénomène lié à la marée et à la gravité, tandis que le moteur du courant de baïne est le déferlement des vagues.
Mécanisme
Vous l’avez peut-être remarqué, les vagues lèvent et déferlent sur une barre (ou un récif), mais pas dans un chenal qui la transperce et sera plus profond. La différence de poussée entre le chenal et les hauts-fonds génère deux vortex à l’origine d’une force d’arrachement orientée vers le large. Ce vortex n’existe que grâce au déferlement sur la barre, aussi il n’y a pas de courant de baïne sans vagues, lorsque la marée est trop basse ou qu’elle est trop haute et que les vagues cassent en shorebreak. Chez nous, en raison du marnage important, le courant de baïne n’est présent qu’entre la BM et la mi-marée, pendant flot et le jusant. La présence de la marée n’est cependant pas indispensable. Le spécialiste Français de la question, Bruno Castelle (Laboratoire CNRS EPOC) rapporte que le courant peut être continu dans certaines régions touchant de la houle mais peu soumises à la marée, comme en Australie sur la côte du New South Wales.
Même en Méditerranée
La plupart des plages de sable du globe disposent d’une barre entrecoupée de chenaux. Aussi un courant d’arrachement est possible partout lorsque les vagues sont puissantes. En Mer Noire, en Méditerranée on connaît aussi ces phénomènes. Une dépression bien creuse située sur Ligure peut expédier de très grosses vagues sur l’Occitanie et générer des courants d’arrachement puissants. Le système est identique dans un petit lagon dont la barrière de corail est immergée : le courant sort par la passe lorsque les vagues submergent le reef. Si vous devez poser la question en trip, sachez qu’en anglais on parle de Rip current.
Où se trouvent les bonnes baïnes ?
La formation des baïnes est favorisée sur les plages de sable fin (mais pas trop : 0,2-0,7mm) par les houles longues, plus ou moins perpendiculaires à la plage. C’est généralement le cas des vagues à longue période, dont les crêtes ont tendance à s’orienter parallèlement à la côte par effet de réfraction sur la côte. Les vagues obliques à faible longueur d’onde restent quant à elles obliques. Elles favorisent plutôt un courant de dérive latérale et lissent les structures sableuses. Les sédiments trop fins ne permettent pas la formation de baïnes, ils génèrent plutôt des plages en pente très douce comme à Oléron, même en la présence de longues houles. Les sédiments grossiers ne peuvent pas non plus être structurés en barres : les galets, comme à Nice, où ils sont soumis à une mer du vent ne peuvent générer que des plages très pentues. La morphologie de la sortie de la baïne, souvent invisible, est capitale : plus elle sera profonde et étroite, mieux le vortex pourra faire fonctionner la pompe. Les baïnes sont mouvantes, elles se déplacent de 3 m (vers le sud) par jour en moyenne chez nous l’été, mais elles peuvent aussi totalement disparaître en l’espace d’une journée sous les assauts des fortes houles de tempête.
Quand trouver la bonne baïne ?
Les paramètres importants sont, primo, des vagues conséquentes : ça tombe bien, les baïnes nous seraient inutiles sans vagues. Secundo, une houle plutôt frontale. Tertio une période dépassant 6-7 secondes. Bruno Castelle a mesuré dans les Landes des courants supérieurs à 1 m/s pour des vagues de seulement 80 cm, mais d’incidence frontale avec 12 sec de période. A contrario, pour des houles courtes (< 6-7 secondes) et une incidence assez oblique, il n’a jamais mesuré de courant de baïne malgré de grosses vagues. L’état de la marée agit (via la hauteur d’eau) comme un interrupteur sur le courant de baïne, mais celui-ci n’est pas uniforme : il est pulsant. Les séries de vagues sont à l’origine de grosses bouffées de courant qui éjectent des grappes entières de baigneurs au large. Ces pulsations intéressantes à exploiter dans la foulée de la série s’échelonnent sur un cycle de quelques minutes, mais aussi sur un cycle plus long, de 10 à 20 minutes.
Arrachement de cap
Un courant d’arrachement très utile aussi longe les épis, les digues ou les caps rocheux. Il s’agit de l’arrachement de cap, dont l’origine est différente, mais dont la capacité à nous expulser au-delà de la zone de déferlement est supérieure à celle de la baïne. Il s’agit d’une mécanique complexe dont il faut conclure que, selon la configuration de la baie ou l’exposition de la digue, un des côtés pourra nous expulser rapidement au large tandis que l’autre pourrait nous maintenir dans la zone de déferlement. Bruno Castelle nous confie son secret pour être le premier au peak : « L’arrachement de cap peut être très puissant du côté de la digue exposé à la houle, mais l’endroit est plus risqué car les vagues s’y brisent. J’utilise l’autre côté, où le shadow current est moins violent mais généralement abrité des vagues ».
Riptide
On observe sur les spots de Manche et de Mer du Nord un décalage allant jusque 3 heures entre l’étale de la marée et la renverse : le courant y est au plus fort pendant les PM et BM alors qu’on pourrait s’attendre à ce qu’il soit nul. Sur le spot de Kerpenhir, à l’entrée du golfe du Morbihan, le jusant a 1h de retard sur l’étale de PM et le courant continue de sortir jusque 2h après la BM. Concrètement, cela signifie que vous ne voyez plus la hauteur d’eau évoluer, tandis que persiste le courant, qui finit de remplir ou de vider les tréfonds de la « petite mer ». Il n’est pas inintéressant de tenir compte de ces décalages, car sur les spots du Nord, cette dérive latérale impacte positivement ou négativement la force du vent apparent selon qu’on doive naviguer vent-contre-courant ou vent dans-le-courant.
Sur les embouchures de golfes fermés ou de baies constellées d’îlots, sur les passes de lagunes ou les estuaires, le jusant vous sort directement au large, comme le ferait une baïne, mais beaucoup plus loin. Dans les spots de ce type tels que le golfe, le bassin d’Arcachon, le Letty ou la gironde, l’annuaire ou le marégraphe sont toujours utiles pour connaître la hauteur d’eau et les conditions de surf. Cependant l’heure de la renverse est plus utile pour composer avec les courants et pour la sécurité. Elle s’observe avec l’expérience du spot, mais peut être aussi retrouvée dans les tables de courants de marée (guide côtier, document Shom), les cartouches des cartes marines ou encore les applis de courantologie (Navionics, Juzzy, Maxsea, etc..). On évitera avec cette information de se retrouver bloqué, ou pire de passer la nuit au large à la dérive, en particulier lorsqu’un goulet accélère le flux, le fameux Riptide.
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