La star mondiale des anomalies climatiques s’est surtout faite connaître parce qu’elle génère des évènements météorologiques catastrophiques. La communauté glisse autour du pacifique surveille aussi le phénomène de près, tant son apparition peut transfigurer la saison de big wave riding à Hawaii ou de freeride en Nouvelle Calédonie.
Par Vincent Chanderot 2016 dans WIND et KBR, illustrations de Marion Lebascle pour Wind
Les pressions atmosphériques à Tahiti et à Darwin (Australie) sont corrélées. Quand elle augmente à l’ouest, elle diminue à l’est. C’est cette « oscillation australe » décrite par Gilbert Walker, qui être à l’origine, sans qu’on n’en comprenne vraiment les raisons, d’El Niño, d’où l’appellation ENSO (El Niño Southern Oscillation).
En temps normal, l’océan Pacifique intertropical est balayé par les alizés. Soufflant d’est en ouest, ils poussent l’eau superficielle vers les côtes australiennes et indonésiennes. Cette masse d’eau acculée sur la bordure occidentale du pacifique est chaude, très chaude, elle forme une « warm pool » (une piscine chaude) et permet la formation de nuages et de pluies. De l’autre côté en revanche, le déficit d’eau créé en face des côtes sud-américaines est comblé par un upwelling, une remontée d’eaux froides et riches en nutriments. Cette fraîcheur inhibe la formation de nuages, donc des pluies jusqu’à la cordillère andine.
El Niño, l’enfant turbulent
ENSO apparaît périodiquement, tous les 2 à 7 ans pour une durée de 9 à 18 mois, lorsque la pression à l’ouest augmente et qu’elle diminue à l’est. Ce gradient provoque l’affaiblissement des alizés à l’est, voire leur inversion. Le courant d’est est par conséquent neutralisé voire renversé : la warm pool migre vers les côtes péruviennes, où des nuages peuvent se former pour provoquer des pluies diluviennes. Lors d’un phénomène El Niño très intense, les pluies en Equateur et au Pérou peuvent atteindre trente fois la normale, générant des inondations et des torrents de boue. Au contraire, les sécheresses résultantes dans l’ouest favorisent les incendies de forêt en Australie ou Indonésie et des sécheresses catastrophiques en Afrique (qui précèdent des pluies démesurées). Les cyclones se multiplient sur la Polynésie et Hawaï pendant les épisodes Niño, tandis qu’ils sont moins nombreux en Atlantique. Le niveau de la mer baisse jusque de 1m dans le Pacifique occidental, entrainant un affleurement de certains coraux. Lors de l’épisode très sévère de 1997-98, 90% des coraux maldivéens ont été blanchis. A chaque El Niño, les eaux péruviennes d’habitude très poissonneuses sont décimées par l’arrivée des eaux chaudes (jusqu’à +8°C) pauvres en nutriments.
L’apparition d’ENSO est détectable grâce aux observations d’anomalies de température. Il émet aussi des signes avant-coureurs qui permettent d’anticiper sa venue, comme un renforcement des alizées avant leur affaiblissement. El Niño offre des conditions de vent très différentes selon la situation du spot dans le pacifique. En Nouvelle Calédonie, les courants d’alizés sont globalement plus importants, mais cela peut varier en fonction de l’intensité et de la position du Niño. Ils sont bien établis à 15-25 kts et le temps, ensoleillé et sec, associé au refroidissement de l’eau, peut favoriser les brises. A Hawaii, c’est le contraire et le big wave windsurfer Jason Polakow surveille de près le phénomène dans sa traque des grosses conditions : « Pour moi qui attends patiemment les tempêtes monstrueuses, les années El Niño sont plus favorables, tandis que les années La Niña sont excellentes pour celui qui voudra naviguer très souvent»
La petite sœur.
Polakow fait allusion à la phase froide d’ENSO, la Niña (« la gamine ») qui est le phénomène inverse d’El Niño. Il s’agit cette fois d’un renforcement des alizés : la warm pool est davantage poussée sur le pacifique ouest et par conséquent l’upwelling en Amérique équatoriale est plus intense. Eaux chaudes à l’ouest, donc pluies, eaux froides à l’est donc sécheresse. On observe aussi plus de pluies au Brésil, de neige en Amérique du nord et d’ouragans dans l’Atlantique.
La Niña génère moins de grands systèmes météo, moins de gros swells sur le Pacifique, mais plus de conditions venteuses sur les spots du centre et de la moitié Est de l’océan, du Canada au Pérou. En Nouvelle Calédonie, les équipes de l’IRD et de Météo-France ont observé que la Ninã favorisait les situations instables de type courant d’ouest en saison fraîche et la descente des perturbations de la Zone de Convergence du Pacifique Sud (ZCPS) en saison chaude, ce qui signifie du vent irrégulier et rafaleux, moins de conditions favorables aux thermiques (des pluies) mais en contrepartie des gros coups de baston.
Les années Niña sont plus favorables aux kiteurs antillais, avec des alizés renforcés et des tempêtes plus nombreuses sur l’atlantique.
« Pareil mais différent »…
… Se dit Modoki en Japonais. C’est le surnom d’une phase alternative de l’ENSO, assimilée à la phase Niño ou à la Niña… mais différente. Suite à un léger affaiblissement des alizés, la Warm pool migre légèrement vers l’est pour se stabiliser dans le pacifique central. Cette position renforce l’upwelling le long des côtes péruviennes qui demeurent par conséquent très sèches. Inde et Australie sont également asséchées, tandis que les régions équatoriales du Pacifique central sont très arrosées. En Atlantique, les cyclones semblent se montrer plus nombreux. Modoki existe aussi pour la Niña et dans les deux cas les alizés du pacifique central sont affaiblis puisqu’ils y convergent (niño) ou y naissent (niña modoki). Ces formes plus soft de l’ENSO, quoique observées depuis toujours, titillent depuis peu les climatologues. Niño modoki semble se multiplier depuis les dernières décennies, au point de leur faire penser que la forme modoki devrait survenir cinq fois plus souvent d’ici 2050.
Changement climatique
En effet, depuis 400 ans, l’intervalle entre 2 épisodes Niño est resté constant entre 2 et 7 ans, mais depuis 30 ans on compte plus de modoki, tandis que les épisodes à la côte sont devenus plus rares mais plus violents. La plupart des recherches suggèrent que les épisodes extrêmes du Niño se multiplieront encore avec le réchauffement atmosphérique. Dans le scénario à +1,5°C de l’accord de Paris, qui, rappelons-le, ne sera pas atteint parce personne ne s’en donne les moyens, ils devraient être multipliés par deux, passant de 5 à 10 par siècle. Au-delà de +2°, c’est un plongeon dans l’inconnu qui augure une progression exponentielle de ces évènements. On ne peut pas affirmer que l’intensité des Niño est liée à la concentration en gaz à effet de serre, cependant ENSO semble accentuer le réchauffement. Pour M Jarraud, météorologue de l’OMM, « le phénomène naturel El Niño et le changement climatique anthropique peuvent interagir et influer l’un sur l’autre de manière totalement inédite“.
Nous n’encourageons plus les trips à l’autre bout du monde, cependant si vous deviez un jour vous retrouver avec un kite dans ces régions, il serait bienvenu que cela coïncide avec le calendrier ENSO. Des signes avant-coureurs peuvent apparaître à l’automne mais la certitude d’une phase neutre, Niño ou Niña ne peut être acquise qu’à partir du mois de décembre.