Le morning glory debarque le soir en France

Un violent coup de vent de type Galerne a traversé le Sud-Ouest et la Normandie le 18 juin dernier. Il fit malheureusement une victime parmi les kitesurfeurs présents sur le spot de Villers-sur-mer, surpris par la soudaineté du phénomène. Un phénomène inhabituel dans la région, qui s’accompagnait d’un nuage jamais observé jusque-là, dont il faudra apprendre à se méfier.

Par Vincent Chanderot, 2022 Kiteboarder 131

Les conditions étaient aléatoires en cette journée où la France entière se voyait frappée de températures record, au-delà des 40°. Le modèle Arome de Météo-France prévoyait néanmoins un gros coup de vent, sans présager de la situation apocalyptique qui se présenterait. Les Basques s’attendent souvent à une galerne après quelques jours de chaleur assommante, mais pas les Normands, rarement confrontés, il est vrai, à ces dernières.

Le 18 juin 2022 20h15 et 20h30, Eumetsat

Prévisions

Les services de Météo France que nous avons contactés n’avaient encore jamais observé un tel phénomène ici et poursuivent leurs investigations : « C’est un phénomène mystérieux et unique sur lequel nous n’avons pas de recul. Nous avons encore du mal à l’expliquer, il est donc encore difficile à prévoir » confesse le prévisionniste Thomas Beauquesne.  Si une entrée maritime, un front orageux ou un arcus n’ont plus rien d’original, le nuage en rouleau observé ce jour était totalement inédit. Les kiteurs pragmatiques qui appliquent la théorie de Murphy (« ce qui peut arriver arrivera ») sont désormais sur leurs gardes : il faut surveiller ce nuage.

De 15 à plus de 50 nœuds

Alors qu’un vent léger sur les spots Normands permettait à des kites de 12-13m2 de naviguer, des rafales à plus de 50 nœuds sont apparues en quelques instants. Elles escortaient un nuage en forme de rouleau aux bordures très nettes. Les rideurs ont dû larguer les ailes, la plupart se désolidarisaient aussi de leur leash. La situation est revenue à la normale en moins d’un quart d’heure, faisant croire à certains kiteurs que la fin de l’épisode leur permettait de retourner naviguer. Ce sont pourtant trois épisodes qui se sont succédés toutes les dix minutes, quoique de moins en moins formés et accompagnés de vents en diminution. Baptiste Labile, présent sur la plage de Merville pour porter assistance, témoigne de la pagaille avec des ailes en bout de leash continuant à tenir en l’air et d’autres s’envolant à plus de 100m de haut pour terminer dans les arbres en centre-ville. Signe que le rouleau génère des mouvements d’air ascendants puissants et potentiellement gravissimes en kite.

Morning glory

Les nuages en rouleaux sont bien connus dans le nord de l’Australie où ils sont attendus en septembre et octobre dans le golfe de Carpentarie par les deltaplanes et planeurs avides de soarings mouvants XXL. Les variations de champs de pression semblent générer des ondes qui restent piégées sous une couche d’air stable (bloquant les mouvements vers le haut). Les conditions de formation de ces nuages, en lien avec une confluence des brises de mer balayant chaque côté du cap York (ce qui peut aussi s’observer sur le cotentin) et l’humidité peuvent expliquer qu’ils apparaissent tôt le matin, d’où ce nom de Morning glory. Cependant, les rares observations dans d’autres régions sont survenues en fin d’après-midi, dans des conditions différentes, à l’avant de fronts froids, ce qui ne permet pas encore de faire de lien. Le train de nuage normand se distingue aussi du phénomène australien par une apparition en fin d’après-midi, un déplacement plus lent mais générant des vents beaucoup plus puissants. Nous avons fourni les datas normandes au spécialiste mondial du Morning Glory, le professeur Tom Peacock du MIT, pour lequel il ne fait aucun doute qu’il s’agit là du même nuage généré sur le cotentin.

En Oz avec Phil Russman

A retenir

Un épisode de vent d’un nouveau type, imprévu, brusque et très violent est survenu sur nos côtes. Par conséquent rien ne s’oppose à ce qu’il survienne de nouveau. Il existe une bonne habitude qui semble s’avérer plus nécessaire encore : celle de regarder régulièrement la couleur du ciel dans son dos, tout particulièrement lorsque la navigation se fait avec des ailes de grandes tailles. Le stratocumulus en rouleau évolue dans un ciel bleu sans signe avant-coureur (comme les arcus). La bonne décision à la vue d’un de ces nuages est de sortir immédiatement de l’eau pour mettre son matos à l’abri et de se porter prêt à aider des retardataires et protéger les badauds. En ne cédant pas à la précipitation : des kiteurs se sont ouverts les mains en tentant d’attraper des ailes errantes par les lignes… Mieux vaut parfois libérer totalement le kite et le laisser s’envoler. C’est une décision qui permet de sauver sa vie dans ce genre de moment de panique. Un train de rouleaux pouvant en cacher un autre, on évitera se précipiter de nouveau à l’eau trop vite sans s’assurer que tout ne soit terminé.

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