Y aura-t-il de la brise de mer aujourd’hui?

Alors que le soleil n’en finit plus de briller et que le vent s’annonce faible, la brise vient souvent modifier profondément la masse d’air pour allumer les spots de soaring mais aussi contrecarrer les cross dans les régions littorales… Ce vent que les navigateurs appellent aussi « le thermique » n’est pas réglé comme un coucou suisse, il relève d’une science complexe et passionnante. par Vincent Chanderot dans PP+ 476, PM+59, WIND 422, WING 2, KITEBOARDER 117

La brise de mer est un phénomène météo de méso-échelle, de mieux en mieux prévu par les modèles à mailles très fines tel que Arome. C’est cependant loin d’être toujours le cas et ça n’est pas valable partout. Elle cache quelques petits secrets qui la rendent un peu unique sur chaque spot… Elle est bien sûr recherchée par les amateurs de soaring mais son arrivée peut parfois surprendre voire gêner, selon les sites et les types de vol pratiqués : le vent peut se renforcer dans des proportions importantes, notamment sous les tropiques et mettre un terme à des vols de cross.
Les décollages, les approches et les progressions vers la mer doivent alors s’aborder différemment. La turbulence aussi s’en trouve profondément modifiée, comme nous le verrons après avoir étudié les conditions de l’établissement de la brise.

Lignes de cumulus associées à la brise sur les îles de Ré et Oléron

Le vent des beaux après-midis d’été
Le régime de brise repose sur un réchauffement différentiel de l’air au-dessus de l’eau et de la terre. Le sol s’échauffe rapidement et permet la transmission de cette chaleur à la couche d’air qui la surplombe, tandis que le réchauffement de l’océan est nettement plus lent : il est à peine perceptible à l’échelle d’une demi-journée. Les immenses volumes d’eau absorbent l’énergie solaire qui est peu retransmise à la lame d’air, elle génère plutôt un peu de vapeur. Puisqu’un gaz chauffé tend à s’élever, on observe des ascendances plus importantes sur la terre que sur l’eau. Les niveaux de pression montent : à altitude identique, la pression à la verticale du sol devient supérieure à celle au-dessus de l’océan et il se forme un premier courant en altitude, dit « de retour », descendant le long des isobares inclinées vers le large.


Dans le même temps, le vide généré par le mouvement vertical doit être comblé car la nature n’aime pas le vide… Et c’est donc tout naturellement l’air marin qui se chargera de cela, d’autant plus qu’il subit un apport par le dessus, donc une surpression. La subsidence de l’air sec qui descend au large dégage l’horizon de ses nuages et génère une surpression. Voilà la brise de mer.
Un flux horizontal provient aussi de l’intérieur des terres, où s’établit une boucle de brise secondaire. La confluence de masses d’air différentes, maritime et terrestre, explique aussi la formation, lorsque leur humidité le permet, de cumulus à double base. L’air marin génère des plafonds nuageux plus bas que l’air sec continental.
Le soir venu, le gradient de température s’inverse : l’océan est toujours aussi chaud tandis que le continent se refroidit très rapidement. La brise de terre, d’orientation dite offshore, peut s’établir.

Les incontournables pour une bonne brise
Un beau soleil seul ne suffit pourtant pas, plusieurs conditions doivent être réunies pour voir surgir la brise.
La condition sine qua non est bien une différence de température entre l’eau et la terre. Trois ou quatre degrés suffisent, voilà pourquoi la brise peut s’établir dès le printemps lorsque l’eau est fraîche et que les terres chauffent, mais moins à l’automne, quand l’eau demeure tiède tandis que les terres refroidissent. C’est la raison pour laquelle la brise peut même souffler en Antarctique (mais pas sur la banquise où il n’y a pas d’ascendances).
Les brises sur les côtes perpendiculaires aux courants de fond ou balayées par des vents offshore profitent également de remontées d’eau fraîches appelées upwellings. Celles-ci accentuent les contrastes thermiques.
Par exemple, un coup de mistral, qui est un vent de terre (offshore) dans les Bouches-du-Rhône, pousse les eaux de surface (chaudes) vers le large, elles sont remplacées par des eaux un peu plus profondes et donc plus fraîches, ce qui promet souvent de belles brises dans les jours suivants.
Plus le gradient de température sera important, plus les brises seront susceptibles d’être puissantes et de s’étirer loin au large et à l’intérieur des terres. La boucle de brise tropicale est généralement plus forte que celle des régions tempérées, plus longue (60 milles contre 10) et plus haute (1000-1500 m contre quelques centaines de mètres chez nous).

Après le mistral, eau froide et brise (Juliette Liso)


Les mers très chaudes n’empêchent pas la mise en place de la brise pour peu que les continents soient plus chauds encore, mais bien souvent, on aura plutôt affaire à des dépressions thermiques comme en mer Rouge. Une mer subissant une canicule marine passagère ne pourra en revanche vraisemblablement pas développer de brise.

Instabilité et anticyclone
L’air doit pouvoir monter en altitude pour amorcer la boucle de brise : on parle d’instabilité. La température de la masse d’air diminue avec une certaine progressivité, de sorte qu’une bulle s’élevant depuis le sol refroidira en restant toujours plus chaude que l’air environnant (pour ceux que ça intéresse, l’air doit se refroidir plus vite que les adiabatiques sèches). Une instabilité extrême peut permettre à une brise de s’établir en plein hiver ou sous un ciel totalement couvert : la seule lumière solaire diffusant à travers les nuages suffit alors à générer de la convection.
Une instabilité forte en basse couche signe aussi la promesse d’une brise puissante. Le développement vertical des cumulus témoigne bien de cette instabilité, à condition que l’air contienne assez d’humidité. Ces nuages formant une ligne parallèle à la côte caractérisent le « front de brise ». Ce mini front froid ne reste pas sur le littoral, il pénètre ensuite à l’intérieur des terres.
Les champs de pressions trop élevés nuisent aux ascendances et donc aux régimes de brises de mer. Alors que le temps calme des marais barométriques en bordure anticyclonique ou à l’arrière d’un front froid leur est le plus favorable.

Vents synoptiques et quadrants de brise
La brise n’aime pas le vent synoptique (ou vent météo, lié aux champs de pression) quand il est trop fort. Il doit être inférieur à 18 noeuds (30 km/h). Toutefois, un synoptique léger et offshore (portant au large) est très favorable à la mise en place de la brise, car il soutient le courant de retour en altitude et il est faible au sol.
Son orientation est aussi capitale.
Et là, désolé, nous allons aborder des notions plus ardues… Les forces de frottements combinés à la force de Coriolis (la rotation de la terre) provoquent une rotation des vents en basse couche de 20° à gauche sur l’eau, et de 40° sur la terre, plus rugueuse. On observe par conséquent sur la bande littorale, une convergence ou une divergence des composantes marines et terrestres du vent météo, qui ne subissent pas la même déviation. Les schémas joints (pour l’hémisphère Nord), évoquent ces notions. On parle de quadrants de brise pour décrire chacun de ces cas.

Un vent synoptique side-off (c’est-à-dire allant vers le large en biais ) sur la droite, s’accompagne d’une divergence des vents de basse couche, maritimes et terrestres, générant un « vide d’air » sur l’eau, donc une subsidence pour la combler. Ce flux vertical va dans le même sens que celui lié à la brise : elle est favorisée et sera donc forte (quadrant 1).
Un vent synoptique side-on (venant du large et en biais) de gauche, s’accompagne d’une convergence de ses composants marins et terrestres, qui sont donc contraints de s’élever. Cette ascendance sur l’eau s’oppose au cycle de la brise (voir quadrant 4).
Pour les quadrants 2 et 3, les autres paramètres, que nous décrivons par la suite, prédomineront pour l’apparition de la brise.

Le vent météo conditionne non seulement l’apparition de la brise mais également son orientation. En Aquitaine, par flux d’Ouest, les observations de terrain montrent que la brise s’établit modérée en Ouest. Par léger flux d’Est, la brise s’oriente au Nord sur l’océan, un peu plus soutenue.
De façon générale, un vent synoptique parallèle à la côte venant de la droite est renforcé par une brise qui tourne peu. S’il vient de la gauche, la brise l’affaiblit et elle tournera également très peu.

L’éternel débat sur la marée…
L’influence de la marée sur le vent ne fait consensus ni auprès des marins, ni dans la science. Les cas de fraîchissement (renforcement) du vent avec le courant de flot, quoique courants, ne sont pas assez systématiques pour former une règle universelle. L’état de la marée est néanmoins un des paramètres à prendre en compte pour la mise en place de la brise en raison de l’arrivée d’eau fraîche du large.
Ce flux accentue le gradient de température, aussi, une marée basse vers 12-13 h peut favoriser (en harmonie avec les autres paramètres) l’apparition de la brise avec le montant, tandis que la pleine mer du matin n’y contribuera pas.

Brise brumeuse (Stephanie Barrio)

L’influence de la côte
La force et l’orientation de la brise n’évoluent pas de la même façon selon l’exposition de la façade maritime. Elle apparaît très tôt sur les côtes exposées à l’Est et beaucoup plus tard sur les côtes ouvertes sur l’Ouest ou le Nord.
On pense souvent que la brise souffle perpendiculaire à la côte, ça n’est pourtant pas vrai, elle tourne toute la journée sur sa droite en suivant la course du soleil mais comme tous les vents, la brise voit son orientation conditionnée par des effets de site : baies, îles, reliefs… La pédologie et la géographie de la côte influent de façon importante le mécanisme.
L’albédo du sol (selon qu’il est sombre ou clair) impacte directement sa capacité à générer des ascendances. En tirant vers le blanc, il réfléchit l’énergie, chauffe donc peu et sera moins susceptible de donner naissance à un thermique. Il en va de même pour la nature du terrain, selon qu’il soit sablonneux, rocailleux ou végétalisé… De plus, une côte basse et plate favorise l’apparition de la brise et sa pénétration, tandis que des hautes falaises ou un arrière-pays élevé, comme en Corse ou Côte d’Azur l’inhibent. C’est qu’en hauteur, il fait plus frais, le gradient de température par rapport à la mer est moins favorable, et le courant retour d’altitude peine plus à s’établir.
Les reliefs, tout comme la végétation, freinent la progression du front de brise, cependant dans certaines configurations telles que sur les petites collines du sud de l’Angleterre ou de la Bretagne, il peut se créer des brises de pentes susceptibles de renforcer la brise de mer.

Le front de brise arrive bientôt… dommage! (Jacques Paul Stefani)

Une journée dans la brise
Le temps s’éclaircit au large, l’horizon devient très net grâce à la subsidence, c’est le signe que la brise arrive derrière « la molle ». En mer du Nord, la brise peut toutefois arriver cachée derrière un banc de brume si l’air est chaud et humide. Observez aussi dès le matin le développement de cumulus sur les îles ou sur le littoral : s’ils montent haut, la brise sera bien là.
Le vent du matin forcit en tournant un peu à droite. C’est ce que fera la brise toute la journée avec le soleil. Sur les côtes exposées au sud, on dit qu’elle tourne avec le soleil. Le front de brise s’enfonce ensuite dans l’arrière-pays et nettoie le ciel de tous ses cumulus. Lorsque l’horizon redevient brumeux, on sait qu’elle s’apprête à tirer sa révérence, stoppée par l’équilibre des températures, les orages ou l’arrivée de basses pressions par le large. Son alter-ego nocturne, la brise de terre, prépare peut-être son arrivée.
Prenez gare en bord de mer, car lorsque la brise surpasse un vent météo de terre, celui-ci peut reprendre le dessus assez rapidement en fin de journée lorsqu’elle s’estompe, pour vous pousser au large. Il arrive que sur la dune de Pilat, par régime de brise et vent d’Est, des pilotes satellisés se retrouvent le soir au-dessus de l’eau, contrés sous le vent météo de la dune, tandis que ceux qui volaient bas se font secouer.
La brise nous accompagne parfois sans qu’on la détecte. Elle peut annuler exactement le vent météo au sol, mais aussi se confondre avec lui : dans le Var, où le mistral tourne en Ouest, il forcit à la mi-journée à la faveur de la brise avant de mollir en fin d’après-midi.
Dans les zones où soufflent les alizés, les brises fonctionnent sous le vent des îles hautes, telles que la Réunion ou Tenerife. Notez par contre que la sensation que l’alizé s’arrête la nuit n’est pas due à la brise de terre qui s’y opposerait, mais à une chape d’air froid qui met l’île sous cloche et dévie le vent en altitude et au large.

En vol dans la brise de mer
La brise laminaire, très peu rafaleuse et plutôt associée à du beau temps, offre des conditions parfaites pour de beaux après-midis de soaring. Le nuage peut toutefois se former dans les zones de vol adossées à des sections élevées et générer quelques gouttes.

A Orio, le cumulus peut couvrir la crête et le déco

Dans les terres, en avant du front de brise, on trouve une masse d’aire sèche et instable qui se verra soulevée par la progression de celui-ci. Toutes les bulles thermiques en couvaison seront décollées et contribueront, avec la confluence, à une ligne d’ascendances assez turbulente. Celle-ci est exploitable pour une dérive vent de dos sur des kilomètres en restant du côté de l’air continental, avant que la brise ne s’essouffle.
Attention toutefois, car en cas de forte instabilité, le front de brise peut devenir orageux. Le fraîchissement du vent dans le front de brise s’observe d’abord au niveau du sol, donc des zones d’atterrissages, avant de s’élever progressivement sur quelques centaines de mètres.
On peut identifier ce fraîchissement avec les indices habituels à terre ou en mer, mais aussi par le troublement de l’air à l’horizon, en direction de l’océan. Cet air marin nébuleux ne permet plus de bien distinguer l’océan depuis l’intérieur des terres, s’il était visible auparavant.
À l’arrière du front de brise, l’air maritime frais, humide et stable, ne génère plus d’ascendances ni de cumulus. Un vol dirigé vers la mer ne sera globalement pas porteur et plus ou moins contré par une brise laminaire selon l’altitude.
La couche surplombant la brise est le siège de cisaillements avec le courant de retour, faibles lorsque la brise est légère mais qui peuvent devenir bien plus conséquents. La friction des deux masses d’air de densités différentes génère parfois, lorsque la pénétration de la brise est rapide, la formation de tourbillons dits « de Kelvin-Helmholtz ». Ces ondulations peuvent être visualisées à de rares occasions sous la forme de nuages déferlants, on peut prendre alors la mesure de cette turbulence. Ces ondulations ne s’observent généralement pas avec des vents synoptiques offshore et sidehore.

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Ondulations de Kelvin-Helmholtz
Développement des ondulations de Kelvin-Helmholtz derrière un front de brise de mer. (D’après Robert Plant)

Les ondulations croissent, atteignent leur maturité et déferlent éventuellement en s’éloignant du front. Elles sont centrées autour de la limite de vitesse nulle qui marque la frontière entre brise et courant de retour.

Voler en basse couche en amont du front de brise implique de poser dans un vent potentiellement soutenu. Rappelons que le front se reconnaît par un renforcement et une bascule soudains du vent. La ligne de cumulus peut prévenir de son arrivée mais elle n’est pas systématique dans un air trop sec. Le renforcement du vent se produit au niveau du sol avant de s’élever progressivement sur quelques centaines de mètres. On peut l’observer avec les indices habituels à terre, mais aussi par le troublement de l’air à l’horizon et en consultant les balises.

Comment sera la brise ? (côtes Atlantique et Manche, Règle de Wirsdorff et Bernot)

BONUS : Un vol en ricochets dans la brise, avec Honorin Hamard

J’ai fait un vol mythique dans les brises au départ de Clécy-Saint-Omer le 4 juin 2017.
La journée a commencé par un plouf avant d’enchaîner sur un vol de 150 km au cours duquel j’ai rencontré 3 secteurs de brises ! Donc suivez bien…

À l’approche de Carentan, en remontant alors vers le nord-ouest, je vois le plafond s’affaisser de quasiment 500 m ou 1000 m au nord des marais. Je décide de faire le plein pour les contourner et essayer d’atteindre Cherbourg, tout au bout du Cotentin. Il n’est que 15 h 30 et je suis loin de la mer mais surprise, c’est déjà sur de la brise que je bute ! Je pénètre l’air maritime et dois vite retourner en arrière chercher un thermique pour me sauver. Ce n’était pas gagné, la masse d’air bouge beaucoup dans la confluence, elle a du mal à se mélanger. En haut, c’est tout doux, mais en sortant en direction de la mer, on revient beaucoup plus bas, et là… ça bloque et ça secoue ! La brise de NE est en train de nettoyer le ciel, elle me force à changer de plan de vol : j’irai donc vers le sud, direction Avranches.
Je descends alors la côte un poil dans les terres, car la brise de NO venant cette fois de la façade occidentale a déjà bien lessivé les thermiques les plus proches de la mer… Mais à mi-parcours vers Avranches, c’est maintenant la brise de SO de la baie du mont Saint-Michel qui me contraint d’effectuer un dernier ricochet vers l’Est.
Il commence à se faire tard et la brise a pénétré profondément le sud du Cotentin. Il me faudrait encore faire une grosse transition pour choper un dernier thermique et boucler… Je loupe malheureusement mon triangle FAI de 170 km pour une petite vingtaine de kilomètres, mais quelle partie de ricochets ! Et qu’est-ce que c’était beau de voir la mer des deux côtés de mon vol et de découvrir ces lignes, ces confluences changeantes de bord de mer, au fur et à mesure de ma progression !

Dans son vol du 4 juin 2017, Honorin Hamard fait une petite incursion derrière le front de brise, dont on devine la courbure parallèle à la côte d’Émeraude et au Cotentin.

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