La pollution générée par nos déplacements sur les sites est facile à appréhender et nous avons une vague idée de celle liée à notre matériel. En revanche, la dernière venue reste une grande inconnue pour beaucoup : la pollution liée aux informations, aux photos et vidéos des vols. Par Vincent Chanderot dans Kiteboarder et Wind
La dématérialisation des outils de communication n’est finalement pas la panacée écologique qu’on croyait. Le niveau des émissions de CO2 liées au numérique atteint aujourd’hui celui du trafic aérien civil et devrait doubler d’ici 2025. Elles se divisent pour moitié dans la fabrication du matériel (terminaux, réseaux, data center) et pour l’autre dans sa consommation électrique. En sera-t-il de même pour le paramoteur ? Alors qu’il devient urgent de réduire les consommations énergétiques partout où cela est possible, il n’est pas vain de questionner les innombrables flux d’informations plus ou moins indispensables qui nous submergent.
Soirée diapo
Le vol et ses à-côtés ont beaucoup évolué depuis l’apparition des Gopro, des réseaux sociaux sur mobile et l’explosion des possibilités du net. Aujourd’hui, à moins d’être sur le site, on ne part plus voler sans faire la tournée des météo, balises et webcams. C’est une excellente utilisation du web qui optimise le vol et évite bien des déplacements inutiles.
L’autre utilisation, celle des réseaux, offre le meilleur comme le moins bon. Les groupes ou les boucles de messagerie permettent aux communautés sportives de se fédérer, s’organiser, de partager des informations ou de rigoler. C’est aussi le siège des flux les plus importants avec la photo et la vidéo. Nombreux sont nombreux ceux qui, arrivés sur un spot (de parapente, de kite, de surf, de tout en fait), balancent une photo de biroute demi-molle ou pire un selfie, une vidéo dont on ne peut tirer grand-chose, tandis qu’un message bref et objectif sur les conditions serait plus opportun. Certains poursuivront ensuite avec les quelques mêmes images sur tous les groupes Wattsapp et 30 photos en vrac sur instagram ou une vidéo montée à l’arrache sur Youtube, pas tellement différentes de celles de la veille. A notre échelle, cela peut tenir du matraquage, à l’échelle globale, ça devient un enjeu environnemental planétaire.
Des parapentistes et des réseaux
Le rapport à l’image et au groupe a évolué avec les réseaux sociaux et boucles de messagerie. Il fait l’objet de recherches en psychologie sociale et sociologie du sport. Selon Michel Raspaud du laboratoire SENS (Sport et Environnement Social), Université de Grenoble-Alpes, « une partie des parapentistes utilise les réseaux, non pas pour leur valeur d’usage (transmettre des informations, émettre des critiques à partir d’arguments pertinents, commenter à bon escient, etc.), mais pour leur valeur d’échange, c’est-à-dire pour la mise en « représentation de soi » (Erving Goffman, La mise en scène de la vie quotidienne) ». Les contemplatifs, tout comme les posteurs compulsifs, subissent la pression de leur ego. Il est intrinsèque à l’être humain, mais se repaît, selon le chercheur, de différentes façons sur les réseaux : de likes reçus, de selfies ou par de simples commentaires rappelant à son existence (dont le dispensable « y’en a qui bossent »). Des citadins publient sur facebook les traces gps de leurs footings en ville. Vous trouvez cela sans intérêt ? Effectivement, pourtant une étude du MIT suggère que l’exercice, relayé sur les réseaux, serait « socialement contagieux » : les gens courent plus lorsque leurs amis affichent plus de kilomètres.
Nous qui pensions que l’étude des traces CFDM était une science, c’est finalement aussi un réseau social qui raconte la journée d’un.e collègue et nous motive ! En contrepoint, dans les groupes wattsapp de nombreux sports de plein air on assiste à une légère régression des niveaux d’autonomie : en se reposant trop sur la communauté pour l’analyse météo ou les sorties, le pratiquant lambda peut perdre en capacité de décision et d’organisation. Cela peut se traduire par un renoncement à aller voler si personne ne se manifeste sur le groupe, ou ne plus être capable de valider des prévisions.
Bilan carbone
Dans la catégorie utile, le site incontournable meteo-parapente dévoilait il y a peu son nouveau supercalculateur (tout petit en comparaison de celui de Meteo-France), dont la facture d’électricité avoisine les 1 500€ par mois pour une puissance et une chaleur dégagée équivalentes à celles de 8 planchas. Certaines informations justifient un impact sur l’environnement, d’autres moins. Le seul visionnage de « gangnam style » a quant à lui englouti la production annuelle d’une centrale nucléaire ! Une vidéo naît dans une action-cam ou un téléphone, des bijoux de technologie regorgeant de métaux rares, mais dont l’espérance de vie dépasse rarement 5 ans, eu égard les conditions d’utilisation et leur obsolescence naturelle ou programmée. Elle finit sur un PC, un téléphone ou un disque dur, dont on peut dire la même chose. Ces appareils sont gourmands en énergie et en matériaux : un ordinateur engloutit 16 fois son poids en matières premières et sur 60 millions de tonnes d’appareils informatiques jetés chaque année, 5% seulement sont recyclés. Tous ces équipements consomment une électricité dont on n’a pas vraiment conscience. Si un smartphone fonctionnait avec des piles LR3, il faudrait en acheter tous les jours un paquet de 3. C’est peu en comparaison des structures de transit et de stockage, les data center. Ils hébergent d’innombrables serveurs et équipements fonctionnant non-stop. Extrêmement gourmands en électricité, ils doivent en plus être refroidis par une climatisation qui double la facture. Même le plus insignifiant des documents (du genre un mail disant « ok ») y est stocké avec une copie de sauvegarde sur un deuxième site, par sécurité, aussi sont-t-ils responsables d’une consommation colossale d’énergie. On estime que les serveurs informatiques engloutissent 10% de l’électricité mondiale. La propreté de l’électricité qui les alimente dépend souvent du pays qui les héberge, mais elle ne contient souvent qu’une faible part de renouvelable. L’empreinte carbone d’une petite photo en PJ d’un email a été estimée entre 10g et 20 g eq CO2, soit pour 10 destinataires, l’équivalent de 500m en voiture. Il s’envoie 350 milliards d’emails par jour sans compter les spams qui représentent 50% des mails. Tous les messages, videos ou documents, s’ils ne sont pas effacés, sont stockés dans les serveurs et consomment une quantité faramineuse d’énergie pendant des années en pure perte. Difficile de réaliser aussi que chaque recherche sur google puisse émette entre 0,2g eq CO2 et plusieurs grammes. Il a circulé pendant un temps le chiffre de 7g, l’équivalent d’une ampoule allumée pendant 1 minute pour une simple recherche. Il s’en fait plus de 2 000 milliards chaque année.
De la bonne utilisation des photos et des réseaux
Au vu de ces données, on peut judicieusement peser le pour et le contre avant de diffuser des photos ou vidéos. On pourrait se contenter de ne partager que les plus belles et les plus utiles. Noyé dans la masse, le plus incroyable des clichés passera le plus souvent inaperçu. Le like est néfaste car, addictif, il contribue chez certains à la frénésie de publication et multiplie les flux. Il pourrait pourtant s’avérer utile en incitant à questionner son œuvre : Est-elle intéressante ? Utile ? Bien composée ? La lumière est-elle parfaite ? Ai-je déjà publié la même chose ? L’image raconte-t-elle une histoire ? Jetez donc un coup d’œil aux pages des Maupoint, Shu ou Geisegger : pour rien au monde ils ne publieraient autre chose que la crème de la crème de leur travail et JB Chandelier n’expose pas ses rushs. La publication en quantité est un contre-emploi des plateformes ou clouds qui permettent de diminuer les volumes de fichiers en faisant tourner des liens plutôt que les documents. Ils subissent avec la surpublication « l’effet rebond » qui annihile bien des progrès technologiques.
Des ONG scrutent les mix énergétiques des grands data centers. Selon le dernier rapport de Greenpeace, Facebook et Youtube s’étaient correctement replacés sur les renouvelables tandis que Twitter et Viméo trustaient le fond du classement avec beaucoup de charbon. Google communique sur sa neutralité carbone, en dépit des 3 millions de tonnes eq CO2 que le groupe émet annuellement. La compagnie achète de l’électricité renouvelable afin de réduire son empreinte, mais celle-ci n’est jamais nulle : une centrale à biomasse, un barrage, une éolienne ou un panneau solaire génèrent aussi du CO2 et des externalités pour leur construction et leur fonctionnement. Le solde est dit « compensé » (ou offseté) par certaines de ces compagnies en finançant des projets évitant d’autres émissions ou la plantation de puits de carbone.
« L’insoutenable usage de la vidéo en ligne »
L’ONG Shift project s’inquiète de la croissance insoutenable de la vidéo. Elle mobilise 80% des flux totaux d’internet, dont 34% pour la VoD, 21% les tubes, 18% réseaux sociaux… et 27% pour le porno ! C’est afin de libérer de la bande passante pour le télétravail et la médecine à distance que Youtube et Netflix ont réduit la définition de leurs vidéos pendant les confinements : en renonçant à la HD, ce qui n’est pas une aberration sur un téléphone ou une tablette, on gagne en fluidité et aussi en consommation d’énergie. Notre vidéo de gonflage qui culmine à 17 vues au bout de 5 ans ne consomme plus de flux, puisque personne ne la regarde, mais consomme toujours du courant et du stockage en data center : on peut raisonnablement l’effacer du tube et la conserver dans son disque dur pour notre maman et notre descendance.
La 5G tue-t-elle ?
Les téléphones filaires n’avaient pas de prise électrique. Les réseaux wifi et mobile nécessitent en revanche de l’électricité en réception et en émission. De nombreux citoyens et scientifiques s’érigent aujourd’hui contre les projets de réseaux 5G : Tandis que la sobriété énergétique devrait guider tout développement, cette technologie triple la consommation électrique, impose de multiplier les antennes (portée moindre) et nécessite de renouveler des milliards de smartphones. Faut-t-il vraiment consacrer tant d’énergie et de ressources pour augmenter les débits de l’internet mobile en ville ? Blessé au fin fond d’un massif ou posé en panne sèche au milieu de la pampa, la 5G ne vous sera d’aucun secours, bien au contraire. Elle ne permet pas tant, n’en déplaise à ses promoteurs, de déployer la téléchirurgie (qui utilisera assurément la fibre) que les usages les plus triviaux comme le jeu vidéo et le porno. Les milliardaires Musk (Tesla, SpaceX) et Bezos (Amazon, Blue Origin) déploient aujourd’hui des business insoutenables : l’envoi de milliers de fusées afin de mettre sur orbite des « mégaconstellations » de dizaines de milliers de satellites afin de développer internet dans les zones reculées (550$+100$/ mois actuellement). Ces projets, outre d’inquiéter en termes de CO2, provoquent l’ire des astronomes et admirateurs du ciel étoilé, qu’ils défigureront à jamais.
Je partage | Seulement quelques images belles, originale ou utiles Mes observations par écrit plutôt que par vidéo Par les réseaux filaires quand c’est encore possible |
J’arrête | de regarder toutes les vidéos débiles que l’algorithme me propose de visionner en haute définition sur un petit écran. Le bouton « répondre à tous ». l’envoi de documents lourds à plein de monde au profit d’un lien vers un cloud effacé par la suite. d’uploader des médias en HD, ils seront de toutes façons compressés |
Je supprime | Tous les vieux messages reçus ET envoyés (il y a des applis pour ça) de toutes les messageries. Les vieux comptes, les documents dormants sur les clouds et dropbox Les abonnements aux newsletters pas lues |
Je pense à | éteindre et débrancher mes appareils et transformateurs déconnecter un peu d’internet de temps en temps prendre soin de mon téléphone pour le garder plus longtemps |