Une brêve histoire du Stance

La question du placement des pieds goofy ou regular ne se pose pas vraiment en wingfoil comme en surf ou en snow, dans la mesure où il est naturel de naviguer sur les deux stances. Nous conservons cependant toujours un bord préféré, tandis que sur l’autre, dit en « switch » ou « fakie », tout est moins confortable. Le stance demeure une énigme pour la science, il révèle toutefois des choses étonnantes sur notre corps et nous nous sommes mis en tête de trouver les moyens qui permettront d’améliorer les sensations sur les deux côtés.

par Vincent Chanderot dans Wingsurf #12 et aussi Kiteboarder#129, Wind, Backcountry #3

Peut-être avez-vous évacué le problème en naviguant toujours avec le même pied devant, ce qui économise aussi une inversion des appuis dans les manœuvres, mais cela reste vrai pour tout le monde : nous avons un bord sur lequel on se sent moins à l’aise au jibe. Sur lequel on saute moins bien, sur lequel le surf est moins fluide.

En amplifiant chaque mouvement parasite et chaque déséquilibre, les débuts en foil nous rappellent à notre asymétrie. Si les premiers bords sur le stance naturel se passent vite très bien, le foil exacerbe un déficit de stabilité et d’agilité en switch chez la majorité des riders, et ce malgré un long background de glisse. La latéralité dans notre sport s’estompe avec le volume de pratique et la plasticité mentale, puisque nous naviguons potentiellement autant tribord que bâbord amures. Elle persiste néanmoins, même chez les pros, entretenue par nos préférences et les impératifs de notre spot, en surfant, sautant ou réalisant certaines manœuvres toujours du même côté.

Dans le monde de la glisse, certains pro-riders sont clairement avantagés par un circuit wave bâbord (comme en windsurf), non seulement parce qu’ils pratiquent ces conditions au quotidien, mais aussi parce qu’ils se battent sur leur bon pied.

En enseignement, partir sur son bon côté est un des facteurs de réussite, mais ça n’est pas toujours évident à mettre en place. Rares sont les moniteurs à se demander si leurs élèves réalisent leur premier bord sur le stance naturel ou switch (en tous cas moi je n’y avais pas pensé à l’époque), pourtant l’apprentissage des goofies est clairement favorisé par un vent venant sur tribord (à droite), tandis que celui des regular sera plus difficile sur ce bord.

« Moi non plus je ne suis pas très à l’aise en switch, je ressens une différence. C’est plus vrai encore pour les riders qui sautent toujours sur le même bord comme à Cape town, où le vent vient systématiquement de gauche. Ca n’a pas de sens de chercher la perfection des deux côtés, il vaut mieux développer un répertoire pour chaque amure » Lasse Walker

DROITIER OU GAUCHER

La latéralité semble être le fruit de l’inné et de l’acquis. Elle résulte d’un déterminisme génétique que l’apprentissage peut contrarier. Par conservatisme dans l’enseignement ou bien par mimétisme, lorsque les enfants reproduisent les gestes de leurs ainés. En dessinant, ou montant comme eux sur un skate la première fois.

Ce fut probablement aussi le cas du tennisman Rafael Nadal, droitier dans la vie mais gaucher sur les courts ! Son choix délibéré de main dominante n’est sans doute pas étranger à son terrible coup droit, car il l’associe opportunément avec son œil et son bassin dominant : Le corps tout entier est latéralisé et nous avons aussi un œil directeur, un sens plus souple pour la rotation du bassin et des épaules et encore un pied fort.

En tennis, les meilleures combinaisons de dominance sont bien documentées et font partie de l’analyse de performance. Par exemple pour un bon coup droit, une dominance dite « croisée » de l’œil et « homogène » du bassin et du pied sont très favorables : la balle est vue plus tôt, le tronc peut visser davantage pour plus de puissance et l’appui est meilleur. Dans nos sports de glisse, la latéralisation de chaque étage (œil, cou, épaules, bassin, jambe, pied) a assurément aussi une influence sur le confort de navigation pour chaque stance.

GOOFY VS REGULAR

Dans les board-sports, on parle de regular-footer, lorsque le pied gauche se place naturellement à l’avant et de goofy-footer dans le cas inverse. La majorité de la population est regular, elle est plus à l’aise sur les bords bâbord-amure et en surf sur les droites, qui peuvent être surfées frontside sur le stance naturel.

Le goofy est plus rare, c’est d’ailleurs le sens de ce terme en anglais, qu’on peut traduire par loufoque. Les goofies, minoritaires aux débuts du surf, étant considérés comme une originalité. Il s’agirait d’une référence au copain perché de Mickey Mouse dans le dessin animé « Hawaiian holiday » de 1936, dans lequel Dingo (Goofy, donc, en anglais) surfe pied droit devant… Le mystère reste toutefois complet, car on le voit aussi attaquer la vague en regular!

L’autre grand mystère est que si la plupart des riders conservent un stance similaire quoi qu’ils fassent, certains l’inversent en passant du surf au skate ou au snowboard. Ceci laisse présager que le stance n’est pas uniquement déterminé par le pied : la morphologie, la souplesse, les appuis propres à chaque sport, ainsi que l’apprentissage d’une technique, plus ou moins bonne, peuvent être impliqués. Il y a une part d’inné et une part d’acquis. Les chances sont grandes que les enfants apprenant le surf toujours sur une petite gauche soient amenés instinctivement (sinon par leurs maîtres) à se lever en position goofy pour pouvoir surfer frontside, face à la vague.

LE PIED DOMINANT

La latéralité du pied suit les mêmes proportions que celles de la main : 90% de la population est droitière pour le pied comme pour la main (1).

On pourrait s’attendre à retrouver la même distribution sur le stance, or les regular ne sont que 60 à 70%, on ne peut par conséquent pas se contenter de l’idée que le pied dominant se place à l’arrière (2).

Mais qu’est-ce donc qu’un pied dominant ? On s’accorde en général à considérer que c’est celui qui jongle et shoote avec un ballon ou celui qu’on lance en sautant. En d’autres termes, c’est celui qui manipule, qui se dirige agilement dans l’espace. L’autre pied est dévolu à la stabilisation, à l’équilibre.

La fonction de ce pied est pourtant tellement essentielle qu’il ne mérite pas ce statut de dominé : que serait un shoot sans un ancrage solide ou un saut sans une impulsion puissante ? Plusieurs études scientifiques soulignent donc que le concept de dominance se définit au regard de la tâche à effectuer : Spry et son équipe de l’université du Kansas (3) ont relevé qu’il y avait le pied préféré, le plus souvent à droite, pour les manipulations ou les tâches réclamant précision et agilité, et le préféré (souvent à gauche) pour les tâches qui nécessitent assise et équilibre. Ils ont aussi mesuré dans cette étude que « la jambe dite dominante n’est pas la plus forte des deux ».

“Une école préfèrerait un virage précis tandis que l’autre privilégierait un virage stable ?”

L’ENIGME DU STANCE

Voici donc une surprise (en faisant l’approximation que quasiment tout le monde est agile du pied droit) : pour un même sport, réclamant les mêmes appuis, les goofy-footers mettent leur pied stable et fort à l’arrière, tandis que les plus nombreux, les regular-footers privilégient le pied stable à l’avant. Cela suggère-t-il qu’une école préfère un virage précis tandis que l’autre privilégie un virage stable ?

Là encore, il faut rechercher le rôle de chaque appui, et cela suscite toujours de longs débats. Probablement parce qu’il y a autant de sensibilités que de riders, au regard des morphologies de chacun. Le champion de surf Mark Richards estimait que « le pied avant n’intervient pas du tout dans la mise en virage, il est là pour équilibrer. La planche ne peut pas tourner sans pression du talon ou des doigts-de-pieds arrière. Je suis sidéré d’entendre des shapers parler de boards spéciales pour « surfers de pied avant» ». Beaucoup d’autres visualisent plutôt le rôle de jambe pivot et l’importance des transferts d’appuis avant-arrière.

En effet le contrôle de la planche ne peut pas se limiter aux seules actions des pieds à l’interface de la board. C’est toute une chaine musculaire qui intervient, car le virage commence par le regard, par le cou et les épaules puis le bassin, lequel transmet les appuis vers les pieds et la board. Le centre de gravité du corps se situe au-dessus du bassin et c’est son déplacement par mouvements de hanches qui permet de transférer les appuis sur le foil et de lui faire prendre du lacet ou du roulis.

DEVENIR PLUS A L’AISE EN SWITCH STANCE

Si vous peinez à engager un beau jibe en switch stance, c’est peut-être que vos pieds ne parviennent pas à s’y résoudre ou que leur morphologie ne le favorise pas (pronation / supination). Mais sans doute votre bassin s’y oppose-t-il aussi.

Le fonctionnement du corps dans un mouvement complexe n’est jamais binaire. Faites le test : la souplesse de vos deux hanches n’est pas égale de chaque côté. Vous l’avez sûrement déjà remarqué en position toeside (également appellée switch) avec la wing côté talons.

Le plan du bassin peut également pivoter spontanément et se fermer ou s’ouvrir par rapport à la board pour compenser une différence de longueur de jambe qu’on retrouve chez 80% de la population (l’anisomélie). On se trouve là confronté à un des fondamentaux des arts martiaux : la libération du bassin permet d’accroître les amplitudes et de trouver des ancrages forts. Elle permet une correction plus évidente des appuis et des déséquilibres.

Les causes de latéralisation sont multiples, néanmoins, travailler la souplesse du bassin, rendre chaque pied plus polyvalent et avoir un bon gainage semblent des pistes sûres.

On peut améliorer l’agilité du pied stable et l’assise du pied maniable. C’est peut-être ce qui nous fait défaut pendant toutes les manoeuvres en switch stance. Dans cette optique, on ne peut que conseiller de se forcer un peu à pratiquer plus de manœuvres sur son mauvais bord : n’attendez pas de tomber pour faire demi-tour! Jiber en switch avant!

Sautez et surfez aussi sur ce côté le moins confortable. Avec le temps, un déséquilibre musculaire peut s’installer à force de toujours favoriser le même côté et il devient difficile d’en revenir. Selon Dr Barrucq de Surf-prévention, les pros des sports asymétriques doivent y remédier en salle de gym, car il est générateur de blessures et même de pertes de performances sur le stance naturel. On observe combien il est difficile pour les surfers, qui pratiquent depuis des années tout le temps sur le même stance, de faire le bord de retour lorsqu’ils se mettent à la wing.

« Je travaille vraiment en switch. C’est important de parvenir à passer des tricks des deux côtés et au final d’être un rideur complet » Giel Vlugt

DANS LA TETE

Nous pouvons profiter d’outils mentaux : Si vous parvenez à voler en foil sur votre stance naturel, vous y parviendrez aussi en switch, parce que vous avez déjà réussi cette même chose sans voler, sur la carène. Retenez que si vous parvenez à décomposer une manœuvre pour la mener habilement d’un côté, vous disposez déjà des cartes pour y parvenir de l’autre, à quelques ajustements près.

Le cerveau est plastique, il peut intégrer à tous les âges de nouveaux gestes. Grâce à l’entraînement, les handicaps peuvent être surmontés afin de franchir les différentes étapes de l’apprentissage. Vous êtes peut-être aujourd’hui dans « l’incompétence consciente » (« Je sais que je ne sais pas faire telle chose en switch »), mais vous parviendrez à force de travail à la compétence consciente (« je sais que je sais faire, mais cela requiert une concentration totale »). Vous atteindrez finalement la compétence inconsciente : vous manœuvrerez en switch même en dormant, et scorerez en surf backside et frontside comme un pro. (4)

Quelques exercices pour progresser en switch avec nos kinés et ostéos Julien Bertrand et Carla Gutierrez

A l’eau : on se focalisera sur des manœuvres en switch stance en essayant de prendre conscience de ses appuis, du rôle tenu par chaque pied, de la position la plus appropriée du bassin, des épaules et du regard.

A terre : on n’hésitera pas à rider en switch stance tout ce qui glisse. Les appuis seront souvent différents, mais des chaines musculaires utiles pourront être activées. Faites donc un peu de skate ou waveboard en switch, du snowboard.

Même en ski, prenez conscience de vos appuis favoris : là aussi vous avez un virage puissant, un pied autour duquel vous faites toujours votre freinage et un pied que vous préférez mettre devant pour franchir en dérapage un raidillon glacé.

A la maison : on peut muscler le membre agile et booster son équilibre grâce à des exercices de proprioception devant la télé sur un plateau kiné (à fabriquer soi-même ou trouver au rayon fitness) ou un indoboard.

On veillera toujours à maintenir un équilibre : Julien Bertrand, Waterman et kiné-ostéo à Anglet rappelle qu’une des bases de la rééducation est de toujours faire aussi l’exercice avec son côté « sain ».

Les étirements sont toujours bénéfiques parce que la souplesse est fondamentale. Des exercices simples issus du Tai-chi permettent une libération du bassin, ce qui permet aussi de mieux tenir en toeside, avant ou après le jibe)

Plateau ou coussin bosu : stabilité des appuis et proprioception

Sur un pied, genou légèrement fléchi :

  • Tenir l’équilibre. Yeux ouverts puis fermés (fig 1)
  • Tenir l’équilibre en provoquant des déséquilibres (bousculer, attraper une balle, se pendre à une corde) (fig 2)
  • Idem en tournant le regard du sol au plafond et sur les côtés, en écoutant du son

Un pied au sol, l’autre sur le coussin ou un ballon :

  • Tenir l’équilibre en transférant le poids au pied sur le ballon (fig 3)

Sur deux pieds, les yeux fermés :

  • Visualiser mentalement (en caméra embarquée et suiveuse) des manœuvres en switch (fig 4)

Balance-board (Indo-board): équilibre général des appuis et transferts

  • Transférer ses appuis de switch en natural et vice-versa
  • Visualisation mentale et simulation du virage switch (fig 5)
  • Rotation du bassin avec transfert d’appuis d’un pied sur l’autre (fig 10)

Pistol : puissance et équilibre des appuis

  • Descendre doucement les fesses sur un seul pied, au besoin à l’aide d’un bâton

Augmenter progressivement les séries de 5 répétitions, repos 1min30 (fig 6)

Echelles ou anneaux au sol : agilité du pied

  • Disposer des cibles rapprochées sur le sol (anneaux, dessin sur le sable, échelle) et courir en faisant slalomer rapidement le pied le moins agile et l’autre aussi tant qu’à faire (fig 7)
  • Jongler avec ce même pied avec une balle de aki ou de foot

Tai chi : libération du bassin

  • Genoux légèrement fléchis, mettre le bassin en rotation en transférant le poids d’une jambe à l’autre. 10 minutes par jour tous les jours en attendant le bus et à la plage.
    • Poids sur la jambe vers laquelle le bassin se tourne (fig 8)
    • Poids sur la jambe opposée (si pas de soucis aux vertèbres dorsales)
  • Sur le dos, ramener les genoux sur le ventre (au besoin en serrant un ballon). Basculer à droite puis à gauche sans décoller les épaules, en expirant et regardant dans l’autre direction. (fig 9)

Bibliographie :

1. Asymmetry in muscle weight and one-sided dominance in the human lower limbs. Chhiber & Singh, Journal of Anatomy (1970)

2. Relationship between leg dominance tests and type of task, Jessica Velotta et al. Journal of Sports Sciences (2011)

3. Evaluation of laterality in the snowboard basic position. Staniszewski et al. Human Movement (2016)

4. What is leg dominance? Spry et al. International Symposium on Biomechanics in Sports (1993)

5. Goofy Vs Regular: laterality effects in surfing, Phil Furley, Laterality 2018

La précision d’atterrissage au quotidien

Les atterrissages très approximatifs sont une spécialité des mieux partagées au monde… Les plus grands champions de PA nous proposent ici leurs ficelles pour s’améliorer au quotidien et pour accélérer les prises de décisions si vous deviez être trop haut ou trop bas.

Par Vincent Chanderot, avec Nathalia Pinzon, Matjaz Feraric, Alex Mateos, Elisa Manueke dans Paramoteur+ n°57

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